AZNAVOUR, Charles
Je t'attends
Mes jours passent, mes nuits pleurent
Et pleure le temps
Ma raison sombre et se meurt
Quand meurt le temps
Ce temps mort que je regrette
Tant et tant
Car sans joie ma vie s'arrête
Et je t'attends
J'attends l'air que je respire
Et le printemps
J'attends mes éclats de rire
Et mes vingt ans
Mes mers calmes et mes tempêtes
En même temps
Car sans joie ma vie s'arrête
Et je t'attends
Je t'attends
Viens ne tarde pas
D'où que tu viennes, qui que tu sois
Viens le temps est court
Je t'attends
Mon rêve inconnu
Quel est ton nom, quel est ton but
Le mien c'est l'amour
Pour que mes jours se transforment
Et que vraiment
Ma vie par toi prenne forme
A chaque instant
Parce que le vide me hante
Avec mon sang
Comme un peintre je t'invente
Et je t'attends
Mes doigts par petites touches
Font tes dents
Avant de croquer ta bouche
Eperdument
Mais ces rêves ne me laissent
Que tourments
Car je traîne ma détresse
Et je t'attends
Hier encore
Hier encore, j'avais vingt ans, je caressais le temps
J'ai joué de la vie
Comme on joue de l'amour et je vivais la nuit
Sans compter sur mes jours qui fuyaient dans le temps
J'ai fait tant de projets qui sont restés en l'air
J'ai fondé tant d'espoirs qui se sont envolés
Que je reste perdu, ne sachant où aller
Les yeux cherchant le ciel, mais le cœur mis en terre
Hier encore, j'avais vingt ans, je gaspillais le temps
En croyant l'arrêter
Et pour le retenir, même le devancer
Je n'ai fait que courir et me suis essoufflé
Ignorant le passé, conjuguant au futur
Je précédais de moi toute conversation
Et donnais mon avis que je voulais le bon
Pour critiquer le monde avec désinvolture
Hier encore, j'avais vingt ans mais j'ai perdu mon temps
À faire des folies
Qui me laissent au fond rien de vraiment précis
Que quelques rides au front et la peur de l'ennui
Car mes amours sont mortes avant que d'exister
Mes amis sont partis et ne reviendront pas
Par ma faute j'ai fait le vide autour de moi
Et j'ai gâché ma vie et mes jeunes années
Du meilleur et du pire en jetant le meilleur
J'ai figé mes sourires et j'ai glacé mes pleurs
Où sont-ils à présent?
À présent
Mes vingt ans
La bohème
Je vous parle d'un temps
Que les moins de vingt ans
Ne peuvent pas connaître
Montmartre en ce temps-là
Accrochait ses lilas
Jusque sous nos fenêtres
Et si l'humble garni
Qui nous servait de nid
Ne payait pas de mine
C'est là qu'on s'est connu
Moi qui criait famine
Et toi qui posais nue
La bohème, la bohème
Ça voulait dire
On est heureux
La bohème, la bohème
Nous ne mangions qu'un jour sur deux
Dans les cafés voisins
Nous étions quelques-uns
Qui attendions la gloire
Et bien que miséreux
Avec le ventre creux
Nous ne cessions d'y croire
Et quand quelque bistro
Contre un bon repas chaud
Nous prenait une toile
Nous récitions des vers
Groupés autour du poêle
En oubliant l'hiver
La bohème, la bohème
Ça voulait dire
Tu es jolie
La bohème, la bohème
Et nous avions tous du génie
Souvent il m'arrivait
Devant mon chevalet
De passer des nuits blanches
Retouchant le dessin
De la ligne d'un sein
du galbe d'une hanche
Et ce n'est qu'au matin
Qu'on s'asseyait enfin
Devant un café-crème
Épuisés mais ravis
Fallait-il que l'on s'aime
Et qu'on aime la vie
La bohème, la bohème
Ça voulait dire
On a vingt ans
La bohème, la bohème
Et nous vivions de l'air du temps
Quant au hasard des jours
Je m'en vais faire un tour
À mon ancienne adresse
Je ne reconnais plus
Ni les murs, ni les rues
Qui ont vu ma jeunesse
En haut d'un escalier
Je cherche l'atelier
Dont plus rien ne subsiste
Dans son nouveau décor
Montmartre semble triste
Et les lilas sont morts
La bohème, la bohème
On était jeunes
On était fous
La bohème, la bohème
Ça ne veut plus rien dire du tout
Emmenez-moi
Vers les docks où le poids et l'ennui
Me courbe le dos
Ils arrivent le ventre alourdi
De fruits les bateaux
Ils viennent du bout du monde
Apportant avec eux
Des idées vagabondes
Aux reflets de ciel bleu
De mirage
Traînant un parfum poivré
De pays inconnus
Et d'éternels étés
Où l'on vit presque nu
Sur les plages
Moi qui n'ai connu toute ma vie
Que le ciel du Nord
J'aimerais débarbouiller ce gris
En virant de bord
Emmenez-moi au bout de la terre
Emmenez-moi au pays des merveilles
II me semble que la misère
Serait moins pénible au soleil.
Dans les bars à la tombée du jour
Avec les marins
Quand on parle de filles et d'amour
Un verre à la main
Je perds la notion des choses
Et soudain ma pensée
M'enlève et me dépose
Un merveilleux été
Sur la grève
Où je vois tendant les bras
L'amour qui comme un fou
Court au-devant de moi
Et je me pends au cou
De mon rêve
Quand les bars ferment, que les marins
Rejoignent leur bord
Moi je rêve encore jusqu'au matin
Debout sur le port
Emmenez-moi
.....
Un beau jour sur un rafiot craquant
De la coque au pont
Pour partir je travaillerai dans
La soute à charbon
Prenant la route qui mène
A mes rêves d'enfants
Sur des îles lointaines
Où rien n’est important
Que de vivre
Où les filles alanguies
Vous ravissent le coeur
En tressant m'a-t-on dit
De ces colliers de fleurs
Qui enivrent
Je fuirai laissant là mon passé
Sans aucun remords
Sans bagage et le coeur libéré
En chantant très fort
Emmenez-moi
.....
Comme ils disent
J’habite seul avec maman
Dans un très vieil appartement
Rue Sarasate
J’ai pour me tenir compagnie
Une tortue, deux canaris
Et une chatte
Pour laisser maman reposer
Très souvent je fais le marché
Et la cuisine
Je range, je lave, j’essuie
A l’occasion je pique aussi
A la machine
Le travail ne me fait pas peur
Je suis un peu décorateur
Un peu styliste
Mais mon vrai métier, c’est la nuit
Que je l’exerce, travesti
Je suis artiste
J'ai un numéro spécial
Qui finit en nu intégral
Après strip-tease
Et dans la salle je vois que
Les mâles n’en croient pas leurs yeux
Je suis un homo
Comme ils disent
Vers les trois heures du matin
On va manger entre copains
De tous les sexes
Dans un quelconque bar-tabac
Et là, on s’en donne à cœur joie
Et sans complexe
On déballe des vérités
Sur des gens qu’on a dans le nez
On les lapide
Mais on le fait avec humour
Enrobé dans des calembours
Mouillés d’acide
On rencontre des attardés
Qui pour épater leurs tablées
Marchent et ondulent
Singeant ce qu'ils croient être nous
Et se couvrent, les pauvres fous
De ridicule
Ça gesticule et parle fort
Ça joue les divas, les ténors
De la bêtise
Moi les lazzi, les quolibets
Me laissent froid puisque c'est vrai.
Je suis un homme, oh !
Comme ils disent
A l'heure où naît un jour nouveau
Je rentre retrouver mon lot
De solitude
J'ôte mes cils et mes cheveux
Comme un pauvre clown malheureux
De lassitude
Je me couche mais ne dors pas
Je pense à mes amours sans joie
Si dérisoires
A ce garçon beau comme un Dieu
Qui sans rien faire a mis le feu
A ma mémoire
Ma bouche n'osera jamais
Lui avouer mon doux secret
Mon tendre drame
Car l'objet de tous mes tourments
Passe le plus clair de son temps
Au lit des femmes
Nul n'a le droit en vérité
De me blâmer de me juger
Et je précise
Que c'est bien la nature qui
Est seule responsable si
Je suis un homme, oh !
Comme ils disent
Le palais de nos chimères
Nous nous sommes mariés par un jour de printemps
Sans prêtre, sans mairie, sans amis, ni parents
Nous n'avions tout au plus elle et moi que vingt ans
Mais un désir d'adulte brûlait nos coeurs d'enfants
L'amour en une nuit émancipa nos coeurs
Nous étions enlacés tout honteux de bonheur
Dans nos yeux agrandis ne passait nulle peur
Car la jeunesse rit quand l'enfance se meurt
Le palais de nos chimères
Nous l'avions bâti sur l'horizon
Et nous ceinturions la terre
Elle et moi, comme deux vagabonds
Pour s'abreuver à la source
De l'amour cet éternel printemps
Nous nous partagions la mousse
Du château de la rose des vents
À présent je suis seul je marche toujours
Mais quand je sentirai venir mon dernier jour
Sur la tombe où déjà repose mon amour
Heureux j'irai m'étendre et mourir à mon tour
Et sous la même croix nos deux corps dormiront
Nos yeux seront cernés par le même horizon
Et de la même terre nos bouches s'empliront
Quand pour l'éternité nos âmes s'uniront
Le palais de nos chimères
A croulé avec mes illusions
Et sous le poids de ses pierres
Se lézarde un coeur de vagabond
Mon passé qui me domine
Me pousse à errer par tous les temps
Et dormir parmi les ruines
Du château de la rose des vents
Du château de la rose des vents
Mes emmerdes
J'ai travaillé,
Des années
Sans répit,
Jour et nuit
Pour réussir,
Pour gravir
Les sommets
En oubliant
Souvent dans
Ma course contre le temps
Mes amis, mes amours, mes emmerdes
A corps perdu
J'ai couru
Assoiffé
Obstiné
Vers l'horizon
L'illusion
Vers l'abstrait
En sacrifiant
C'est navrant
Je m'en accuse à présent
Mes amis, mes amours mes emmerdes
Mes amis c'était tout en partage
Mes amours faisaient très bien l'amour
Mes emmerdes étaient ceux de notre âge
Où l'argent c'est dommage
Eperonnait nos jours
Pour être fier
je suis fier
Entre nous
Je l'avoue
J'ai fait ma vie
Mais il y a un mais
Je donnerai
Ce que j'ai
Pour retrouver
Je l'admets
Mes amis, mes amours mes emmerdes
Mes relations Vraiment, sont
Haut placées Décorées
Très influents
Bedonnants
Des gens bien
Ils sont sérieux
Mais près…
Mes relations Vraiment, sont
Haut placées Décorées
Très influents
Bedonnants
Des gens bien
Ils sont sérieux
Mais près d'eux
J'ai toujours le regret de
Mes amis, mes amours mes emmerdes
Mes amis étaient plein d'insouciance
Mes amours avaient le corps brûlant
Mes emmerdes aujourd'hui quand j'y pense
Avaient peu d'importance
Et c'était le bon temps
Les canulars
Les pétards
Les folies
Les orgies,
Les jours du bac
Le cognac
Les refrains
Tout ce qui fait
Je le sais
Que je n'oublierai jamais
Mes amis, mes amours mes emmerdes
Une vie d'amour
Une vie d'amour
Que l'on s'était jurée
Et que le temps a désarticulée
Jour après jour
Blesse mes pensées
Tant des mots d'amour
En nos cœurs étouffés
Dans un sanglot l'espace d'un baiser
Sont restés sourds
À tout, mais n'ont rien changé
Car un au revoir
Ne peut être un adieu
Et fou d'espoir
Je m'en remets à Dieu
Pour te revoir
Et te parler encore
Et te jurer encore
Une vie d'amour
Remplie de rires clairs
Un seul chemin
Déchirant nos enfers
Allant plus loin
Que la nuit
La nuit des nuits
Une vie d'amour
Que l'on s'était jurée
Et que le temps a désarticulée
Jour après jour
Blesse mes pensées
Tant des mots d'amour
Que nos cœurs ont criés
De mots tremblés, de larmes soulignées
Dernière cours
De joies désharmonisées
Des aubes en fleurs
Aux crépuscules gris
Tout va, tout meurt
Mais la flamme survit
Dans la chaleur
D'un immortel été
D'un éternel été
Une vie d'amour
Une vie pour s'aimer
Aveuglément
Jusqu'au souffle dernier
Bon an mal an
Mon amour
T'aimer encore
Et toujours