ROCHEFOUCAULD, François de la
Maximes
M. 26 : " Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement. "
M. 102 : " L’esprit est toujours la dupe du cœur. "
M. 119 : Nous sommes si accoutumés à nous déguiser aux autres qu’à la fin nous nous déguisons à nous même. »
M. 122 : "Si nous résistons à nos passions, c’est plus par leur faiblesse que par notre force."
M. 157 : " La gloire des grands hommes se doit toujours mesurer aux moyens dont ils se sont servis pour l’acquérir. "
M. 191 : " On peut dire que les vices nous attendent dans le cours de la vie comme des hôtes chez qui il faut successivement loger ; et je doute que l’expérience nous les fît éviter s’il nous était permis de faire deux fois le même chemin. "
M. 218 : " L’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. "
M. 250 : " La véritable éloquence consiste à dire tout ce qu’il faut, et à ne dire que ce qu’il faut. "
M. 308 : " On a fait une vertu de la modération pour borner l’ambition des grands hommes, et pour consoler les gens médiocres de leur peu de fortune, et de leur peu de mérite. "
M. 313 : " Pourquoi faut-il que nous ayons assez de mémoire pour retenir jusqu’aux moindres particularités de ce qui nous est arrivé, et que nous n’en ayons pas assez pour nous souvenir combien de fois nous les avons contées à une même personne ?
M. 409 : " Nous aurions souvent honte de nos plus belles actions si le monde voyait tous les motifs qui les produisent.
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XV. Des coquettes et des vieillards
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S'il est malaisé de rendre raison des goûts en général, il le doit être encore davantage de rendre raison du goût des femmes coquettes. On peut dire néanmoins que l'envie de plaire se répand généralement sur tout ce qui peut flatter leur vanité, et qu'elles ne trouvent rien d'indigne de leurs conquêtes. Mais le plus incompréhensible de tous leurs goûts est, à mon sens, celui qu'elles ont pour les vieillards qui ont été galants. Ce goût paraît trop bizarre, et il y en a trop d'exemples, pour ne chercher pas la cause d'un sentiment tout à la fois si commun et si contraire à l'opinion que l'on a des femmes. Je laisse aux philosophes à décider si c'est un soin charitable de la nature, qui veut consoler les vieillards dans leur misère, et qui leur fournit le secours des coquettes par la même prévoyance qui lui fait donner des ailes aux chenilles, dans le déclin de leur vie, pour les rendre papillons; mais, sans pénétrer dans les secrets de la physique, on peut, ce me semble, chercher des causes plus sensibles de ce goût dépravé des coquettes pour les vieilles gens.
Ce qui est plus apparent, c'est qu'elles aiment les prodiges, et qu'il n'y en a point qui doive plus toucher leur vanité que de ressusciter un mort. Elles ont le plaisir de l'attacher à leur char, et d'en parer leur triomphe, sans que leur réputation en soit blessée; au contraire, un vieillard est un ornement à la suite d'une coquette, et il est aussi nécessaire dans son train que les nains l'étaient autrefois dans Amadis. Elles n'ont point d'esclaves si commodes et si utiles. Elles paraissent bonnes et solides en conservant un ami sans conséquence. Il publie leurs louanges, il gagne croyance vers les maris et leur répond de la conduite de leurs femmes. S'il a du crédit, elles en retirent mille secours; il entre dans tous les intérêts et dans tous les besoins de la maison. S'il sait les bruits qui courent des véritables galanteries, il n'a garde de les croire; il les étouffe, et assure que le monde est médisant; il juge par sa propre expérience des difficultés qu'il y a de toucher le cœur d'une si bonne femme; plus on lui fait acheter des grâces et des faveurs et plus il est discret et fidèle; son propre intérêt l'engage assez au silence; il craint toujours d'être quitté, et il se trouve trop heureux d'être souffert. Il se persuade aisément qu'il est aimé, puisqu'on le choisit contre tant d'apparences; il croit que c'est un privilège de son vieux mérite, et remercie l'amour de se souvenir de lui dans tous les temps.
Elle, de son côté, ne voudrait pas manquer à ce qu'elle lui a promis; elle lui fait remarquer qu'il a toujours touché son inclination, et qu'elle n'aurait jamais aimé si elle ne l'avait jamais connu; elle le prie surtout de n'être pas jaloux et de se fier en elle; elle lui avoue qu'elle aime un peu le monde et le commerce des honnêtes gens, qu'elle a même intérêt d'en ménager plusieurs à la fois, pour ne laisser pas voir qu'elle le traite différemment des autres; que si elle fait quelques railleries de lui avec ceux dont on s'est avisé de parler, c'est seulement pour avoir le plaisir de le nommer souvent, ou pour mieux cacher ses sentiments; qu'après tout il est le maître de sa conduite, et que, pourvu qu'il en soit content et qu'il l'aime toujours, elle se met aisément en repos du reste. Quel vieillard ne se rassure pas par des raisons si convaincantes, qui l'ont souvent trompé quand il était jeune et aimable? Mais, pour son malheur, il oublie trop aisément qu'il n'est plus ni l'un ni l'autre, et cette faiblesse est, de toutes, la plus ordinaire aux vieilles gens qui ont été aimés. Je ne sais même si cette tromperie ne leur vaut pas mieux encore que de connaître la vérité: on les souffre du moins, on les amuse, ils sont détournés de la vue de leurs propres misères, et le ridicule où ils tombent est souvent un moindre mal pour eux que les ennuis et l'anéantissement d'une vie pénible et languissante.
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