MALHERBE, François de
Il n'est rien de si beau
Il n'est rien de si beau comme Caliste est belle :
C'est une oeuvre où Nature a fait tous ses efforts :
Et notre âge est ingrat qui voit tant de trésors,
S'il n'élève à sa gloire une marque éternelle.
La clarté de son teint n'est pas chose mortelle :
Le baume est dans sa bouche, et les roses dehors :
Sa parole et sa voix ressuscitent les morts,
Et l'art n'égale point sa douceur naturelle.
La blancheur de sa gorge éblouit les regards :
Amour est en ses yeux, il y trempe ses dards,
Et la fait reconnaître un miracle visible.
En ce nombre infini de grâces, et d'appas,
Qu'en dis-tu ma raison ? crois-tu qu'il soit possible
D'avoir du jugement, et ne l'adorer pas ?
Beauté, mon cher souci
Beauté, mon cher souci, de qui l'âme incertaine
A, comme l'Océan, son flux et son reflux,
Pensez de vous résoudre à soulager ma peine,
Ou je me résoudrai à ne la souffrir plus.
Vos yeux ont des appas que j'aime et que je prise,
Et qui peuvent beaucoup dessus ma liberté,
Mais pour me retenir, s'ils font cas de ma prise,
Il leur faut de l'amour autant que de beauté.
Quand je pense être au point que cela s'accomplisse,
Quelque excuse toujours en empêche l'effet ;
C'est la toile sans fin de la femme d'Ulysse,
Dont l'ouvrage du soir au matin se défait.
Madame, avisez-y, vous perdez votre gloire
De me l'avoir promis et vous rire de moi.
S'il ne vous en souvient, vous manquez de mémoire ;
Ou s'il vous en souvient, vous n'avez point de foi.
J'avais toujours fait compte, aimant chose si haute,
De ne m'en séparer qu'avec le trépas ;
S'il arrive autrement, ce sera votre faute,
De faire des serments et ne les tenir pas.
Consolation à M. du Périer
Ta douleur, du Perier, sera donc éternelle ?
Et les tristes discours,
Que te met en l’esprit l’amitié paternelle,
L’augmenteront toujours ?
Le malheur de ta fille au tombeau descendue
Par un commun trépas,
Est-ce quelque dédale, où ta raison perdue
Ne se retrouve pas ?
Je sais de quels appas son enfance étoit pleine ;
Et n’ai pas entrepris,
Injurieux ami, de soulager ta peine
Avecque son mépris.
Mais elle étoit du monde, où les plus belles choses
Ont le pire destin ;
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L’espace d’un matin.
Puis quand ainsi serait que, selon ta prière,
Elle auroit obtenu
D’avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,
Qu’en fût-il advenu ?
Penses-tu que, plus vieille, en la maison céleste
Elle eût eu plus d’accueil ?
Ou qu’elle eût moins senti la poussière funeste
Et les vers du cercueil ?
Non, non, mon du Perier, aussitôt que la Parque
Ôte l’âme du corps,
L’âge s’évanouit au deçà de la barque,
Et ne suit point les morts.
Tithon n’a plus les ans qui le firent cigale ;
Et Pluton aujourd’hui,
Sans égard du passé, les mérites égale
D’Archémore et de lui.
Ne te lasse donc plus d’inutiles complaintes ;
Mais, sage à l’avenir,
Aime une ombre comme ombre, et des cendres éteintes
Éteins le souvenir.
C’est bien, je le confesse, une juste coutume,
Que le cœur affligé,
Par le canal des yeux versant son amertume,
Cherche d’être allégé.
Même quand il advient que la tombe sépare
Ce que la nature a joint,
Celui qui ne s’émeut a l’ame d’un barbare,
Ou n’en a du tout point.
Mais d’être inconsolable et dedans sa mémoire
Enfermer un ennui,
N’est ce pas se haïr pour acquérir la gloire
De bien aimer autrui ?
Priam qui vit ses fils abattus par Achille,
Dénué de support
Et hors de tout espoir du salut de sa ville,
Reçut du réconfort.
François, quand la Castille, inégale à ses armes,
Lui vola son dauphin,
Sembloit d’un si grand coup devoir jeter des larmes
Qui n’eussent point de fin.
Il les sécha pourtant, et comme un autre Alcide,
Contre fortune instruit,
Fit qu’à ses ennemis d’un acte si perfide
La honte fut le fruit.
Leur camp, qui la Durance avoit presque tarie
De bataillons épais,
Entendant sa constance, eut peur de sa furie,
Et demanda la paix.
De moi, déjà deux fois d’une pareille foudre
Je me suis vu perclus,
Et deux fois la raison m’a si bien fait résoudre
Qu’il ne m’en souvient plus.
Non qu’il ne me soit mal que la tombe possède
Ce qui me fut si cher ;
Mais en un accident qui n’a point de remède,
Il n’en faut point chercher.
Chanson
Sus, debout, la merveille des belles !
Allons voir sur les herbes nouvelles
Luire un émail dont la vive peinture
Défend à l’art d’imiter la nature.
L’air est plein d’une haleine de roses,
Tous les vents tiennent leurs bouches closes ;
Et le soleil semble sortir de l’onde
Pour quelque amour plus que pour luire au monde.
On dirait, à lui voir sur la tête
Ses rayons comme un chapeau de fête,
Qu’il s’en va suivre en si belle journée
Encore un coup la fille de Pénée.
Toute chose aux délices conspire,
Mettez-vous en votre humeur de rire ;
Les soins profonds d’où les rides nous viennent
À d’autres ans qu’aux vôtres appartiennent.
Il fait chaud, mais un feuillage sombre
Loin du bruit nous fournira quelque ombre,
Où nous ferons parmi les violettes,
Mépris de l’ambre et de ses cassolettes.
Près de nous, sur les branches voisines
Des genêts, des houx et des épines,
Le rossignol, déployant ses merveilles,
Jusqu’aux rochers donnera des oreilles.
Et peut-être à travers des fougères
Verrons-nous, de bergers à bergères,
Sein contre sein, et bouche contre bouche,
Naître et finir quelque douce escarmouche.
C’est chez eux qu’Amour est à son aise ;
II y saute, il y danse, il y baise,
Et foule aux pieds les contraintes serviles
De tant de lois qui le gênent aux villes.
Ô qu’un jour mon âme aurait de gloire
D’obtenir cette heureuse victoire,
Si la pitié de mes peines passées,
Vous disposait à semblables pensées !
Votre honneur, le plus vain des idoles,
Vous remplit de mensonges frivoles :
Mais quel esprit que la raison conseille,
S’il est aimé, ne rend point la pareille ?
Aux ombres de Damon
L'Orne comme autrefois nous reverrait encore,
Ravis de ces pensers que le vulgaire ignore,
Egarer à l'écart nos pas et nos discours,
Et, couchés sur les fleurs comme étoiles semées,
Rendre en si doux ébat les heures consumées,
Que les soleils nous seraient courts.
Mais, ô loi rigoureuse à la race des hommes !
C'est un point arrêté que tout ce que nous sommes,
Issus de pères rois et de pères bergers,
La Parque également sous la tombe nous serre ;
Et les mieux établis au repos de la terre
N'y sont qu'hôtes et passagers.
Tout ce que la grandeur a de vains équipages,
D'habillements de pourpre, et de suite de pages,
Quand le terme est échu n'allonge point nos jours.
Il faut aller tout nus où le destin commande ;
Et de toutes douleurs la douleur la plus grande,
C'est qu'il faut laisser nos amours :
Amours qui, la plupart infidèles et feintes,
Font gloire de manquer à nos cendres éteintes,
Et qui, plus que l'honneur estimant les plaisirs,
Sous le masque trompeur de leurs visages blêmes,
Acte cligne du foudre ! en nos obsèques mêmes
Conçoivent de nouveaux désirs.
Elles savent assez alléguer Artémise,
Disputer du devoir et de la foi promise :
Mais tout ce beau langage est de si peu d'effet,
Qu'à peine en leur grand nombre une seule se treuve
De qui la foi survive, et qui fasse la preuve
Que ta Carinice te fait.
Depuis que tu n'es plus, la campagne déserte
A dessous deux hivers perdu sa robe verte,
Et deux fois le printemps l'a repeinte de fleurs,
Sans que d'aucun discours sa douleur se console,
Et que ni la raison ni le temps qui s'envole
Puisse faire tarir ses pleurs.
Le silence des nuits, l'horreur des cimetières,
De son contentement sont les seules matières ;
Tout ce qui plaît déplaît à son triste penser ;
Et si tous ses appas sont encore en sa face,
C'est que l'Amour y loge, et que rien qu'elle fasse
N'est capable de l'en chasser.
. . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . .
Mais quoi ! c'est un chef-d'œuvre où tout mérite abonde,
Un miracle du ciel, une perle du monde,
Un esprit adorable à tous autres esprits ;
Et nous sommes ingrats d'une telle aventure,
Si nous ne confessons que jamais la nature
N'a rien fait de semblable prix.
J'ai vu maintes beautés à la cour adorées,
Qui, des vœux des amants à l'envi désirées,
Aux plus audacieux ôtaient la liberté :
Mais de les approcher d'une chose si rare,
C'est vouloir que la rose au pavot se compare,
Et le nuage à la clarté.
Celle à qui dans mes vers, sous le nom de Nérée,
J'allais bâtir un temple éternel en durée,
Si sa déloyauté ne l'avait abattu,
Lui peut bien ressembler du front, ou de la joue :
Mais quoi ! puisqu a ma honte il faut que je l'avoue,
Elle n'a rien de sa vertu.
Lame de cette ingrate est une âme de cire,
Matière à toute forme incapable d'élire,
Changeant de passion aussitôt que d'objet ;
Et de la vouloir vaincre avecque des services,
Après qu'on a tout fait, on trouve que ses vices
Sont de l'essence du sujet.
Souvent de tes conseils la prudence fidèle
M'avait sollicité de me séparer d'elle,
Et de m'assujettir à de meilleures lois :
Mais l'aise de la voir avait tant de puissance,
Que cet ombrage faux m'ôtait la connaissance
Du vrai bien où tu m'appelais.
Enfin, après quatre ans, une juste colère
Que le flux de ma peine a trouvé son reflux
Mes sens qu'elle aveuglait ont connu leur offense ;
Je les en ai purgés, et leur ai fait défense
De me la ramentevoir plus.
La femme est une mer aux naufrages fatale ;
Rien ne peut aplanir son humeur inégale ;
Ses flammes d'aujourd'hui seront glaces demain :
Et s'il s'en rencontre une à qui cela n'advienne,
Fais compte, cher esprit, qu'elle a, comme la tienne,
Quelque chose de plus qu'humain.
Dessein de quitter une dame qui ne le contentait que de promesse -
Beauté, mon beau souci, de qui l'âme incertaine
A, comme l'océan, son flux et son reflux,
Pensez de vous résoudre à soulager ma peine,
Ou je me vais résoudre à ne la souffrir plus.
Vos yeux ont des appas que j'aime et que je prise,
Et qui peuvent beaucoup dessus ma liberté ;
Mais pour me retenir, s'ils font cas de ma prise,
Il leur faut de l'amour autant que de beauté.
Quand je pense être au point que cela s'accomplisse,
Quelque excuse toujours en empêche l'effet ;
C'est la toile sans fin de la femme d'Ulysse,
Dont l'ouvrage du soir au matin se défait.
Madame, avisez-y, vous perdez votre gloire
De me l'avoir promis et vous rire de moi.
S'il ne vous en souvient, vous manquez de mémoire,
Et s'il vous en souvient, vous n'avez point de foi.
J'avais toujours fait compte, aimant chose si haute,
De ne m'en séparer qu'avecque le trépas ;
S'il arrive autrement ce sera votre faute,
De faire des serments et ne les tenir pas.