DESPORTES, Philippe



A pas lents et tardifs


À pas lents et tardifs tout seul je me promène,

Et mesure en rêvant les plus sauvages lieux ;

Et, pour n’être aperçu, je choisis de mes yeux

Les endroits non frayés d’aucune trace humaine.


Je n’ai que ce rempart pour défendre ma peine,

Et cacher mon désir aux esprits curieux,

Qui, voyant par dehors mes soupirs furieux,

Jugent combien dedans ma flamme est inhumaine.


Il n’y a désormais ni rivière ni bois,

Plaine, mont ou rocher, qui n’ait su par ma voix,

La trempe de ma vie à toute autre celée.


Mais j’ai beau me cacher, je ne puis me sauver

En désert si sauvage ou si basse vallée

Qu’amour ne me découvre et me vienne trouver.


Arrête un peu, mon Cœur, où vas-tu si courant ?


Arrête un peu, mon Cœur, où vas-tu si courant ?

- Je vais trouver les yeux qui sain me peuvent rendre.

- Je te prie, attends-moi. - Je ne te puis attendre,

Je suis pressé du feu qui me va dévorant.


- Il faut bien, ô mon cœur ! que tu sois ignorant,

De ne pouvoir encor ta misère comprendre :

Ces yeux d'un seul regard te réduiront en cendre :

Ce sont tes ennemis, t'iront-ils secourant ?


- Envers ses ennemis, si doucement on n'use ;

Ces yeux ne sont point tels. - Ah ! c'est ce qui t'abuse :

Le fin berger surprend l'oiseau par des appâts.


- Tu t'abuses toi-même, ou tu brûles d'envie,

Car l'oiseau malheureux s'envole à son trépas,

Moi, je vole à des yeux qui me donnent la vie.


Icare est chu ici, le jeune audacieux


Icare est chu ici, le jeune audacieux,

Qui pour voler au Ciel eut assez de courage :

Ici tomba son corps degarni de plumage,

Laissant tous braves coeurs de sa chute envieux.


Ô bienheureux travail d'un esprit glorieux,

Qui tire un si grand gain d'un si petit dommage !

Ô bienheureux malheur, plein de tant d'avantage

Qu'il rende le vaincu des ans victorieux !


Un chemin si nouveau n'étonna sa jeunesse,

Le pouvoir lui faillit, mais non la hardiesse ;

Il eut, pour le brûler, des astres le plus beau.


Il mourut poursuivant une haute aventure,

Le ciel fut son désir, la mer sa sépulture :

Est-il plus beau dessein, ou plus riche tombeau ?


Rosette, pour un peu d’absence


Rosette, pour un peu d'absence,

Votre coeur vous avez changé,

Et moi, sachant cette inconstance,

Le mien autre part j'ai rangé :

Jamais plus, beauté si légère

Sur moi tant de pouvoir n'aura

Nous verrons, volage bergère,

Qui premier s'en repentira.


Tandis qu'en pleurs je me consume,

Maudissant cet éloignement,

Vous qui n'aimez que par coutume,

Caressiez un nouvel amant.

Jamais légère girouette

Au vent si tôt ne se vira :

Nous verrons, bergère Rosette.

Qui premier s'en repentira.


Où sont tant de promesses saintes,

Tant de pleurs versés en partant ?

Est-il vrai que ces tristes plaintes

Sortissent d'un coeur inconstant ?

Dieux ! que vous êtes mensongère !

Maudit soit qui plus vous croira !

Nous verrons, volage bergère,

Qui premier s'en repentira.


Celui qui a gagné ma place

Ne vous peut aimer tant que moi ;

Et celle que j'aime vous passe

De beauté, d'amour et de foi.

Gardez bien votre amitié neuve,

La mienne plus ne variera,

Et puis, nous verrons à l'épreuve

Qui premier s'en repentira.


Douce Liberté désirée


Douce Liberté désirée,
Déesse, où t'es-tu retirée,
Me laissant en captivité ?
Hélas! de moi ne te détourne !
Retourne, ô Liberté ! retourne,
Retourne, ô douce Liberté.

Ton départ m'a trop fait connaître
Le bonheur où je soulais être,
Quand, douce, tu m'allais guidant :
Et que, sans languir davantage,
Je devais, si j'eusse été sage,
Perdre la vie en te perdant.

Depuis que tu t'es éloignée,
Ma pauvre âme est accompagnée
De mille épineuses douleurs :
Un feu s'est épris en mes veines,
Et mes yeux, changés en fontaines,
Versent du sang au lieu de pleurs.

Un soin, caché dans mon courage,
Se lit sur mon triste visage,
Mon teint plus pâle est devenu :
Je suis courbé comme une souche,
Et, sans que j'ose ouvrir la bouche,
Je meurs d'un supplice inconnu.

Le repos, les jeux, la liesse,
Le peu de soin d'une jeunesse,
Et tous les plaisirs m'ont laissé :
Maintenant, rien ne me peut plaire,
Sinon, dévot et solitaire,
Adorer l'oeil qui m'a blessé.

D'autre sujet je ne compose,
Ma main n'écrit plus d'autre chose,
Jà tout mon service est rendu ;
Je ne puis suivre une autre voie,
Et le peu du temps que j'emploie
Ailleurs, je l'estime perdu.

Quel charme, ou quel Dieu plein d'envie
A changé ma première vie,
La comblant d'infélicité ?
Et toi, Liberté désirée,
Déesse, où t'es-tu retirée,
Retourne, ô douce Liberté !

Les traits d'une jeune guerrière,
Un port céleste, une lumière,
Un esprit de gloire animé,
Hauts discours, divines pensées,
Et mille vertus amassées
Sont les sorciers qui m'ont charmé.

Las! donc sans profit je t'appelle,
Liberté précieuse et belle !
Mon coeur est trop fort arrêté :
En vain après toi je soupire,
Et crois que je te puis bien dire
Pour jamais adieu, Liberté.