BOSQUET, Alain
Chair
Viens ! je te fais l'amour comme on se crucifie : un seul clou pour unir ta chair à ma chair
molle, une seule potence où hisser nos squelettes, le tien blotti en forme d'œuf ; le mien,
serpent
qui rêve de s'empoisonner.
Je sors de toi,
je rentre en toi : je suis le prêtre qui regagne
sa vieille église après deux nuits au fond d'un bouge
et, découvrant son dieu assassiné, le prend
pour un clochard.
Car toute étreinte est agonie, et tout désir dégoût de soi.
C'est sous ta
peau que l'univers devient un sépulcre amical.
Exhumons-nous l'un l'autre, ô tendres funérailles !
J'accepte que ton corps soit mon doux paysage, et ton sexe béant mon enfer favori.
La graine
Une graine voyageait
toute seule pour voir le pays.
Elle jugeait les hommes et les choses.
Un jour elle trouva
joli le vallon
et agréables quelques cabanes.
Elle s'est installée sur l'herbe
auprès d'une fontaine,
et s'est endormie.
Pendant qu'elle rêvait
elle est devenue brindille,
et la brindille a grandi
puis s'est couverte de bourgeons.
Les bourgeons ont donné des branches.
Tu vois ce chêne puissant:
c'est lui, si beau, si majestueux,
cette graine.
- oui, mais le chêne
Ne peut pas voyager.
Demain je serai ange
Finis le doute et le dédain,
le serpent sous le rire,
le coeur qui ne sait pas pourquoi il se partage,
le plaisir du néant, la peur de soi,
le sarcasme pendu comme une prune
sous le menton,
l’incertitude avec des fleurs,
la certitude avec des trous:
demain je serai ange.
Musique
J'aurais voulu de temps en temps être musique,
et, privé de mon corps, partir avec le vent
sur les fleuves perdus, les vautours en révolte,
les troupeaux d'arbres fous qui broutent les hameaux.
De temps en temps j'aurais voulu être un murmure
interrompant le long silence du silex
et le forçant enfin de m'expliquer pourquoi
il a l'air malheureux comme un astre qui tombe.
De temps en temps j'aurais voulu être un soupir
chez les insectes roux qui détruisent la pomme,
la sapotille et la pastèque trop crédule.
J'aurais voulu de temps en temps être un refrain
qui unit sans raison ni astuce perverse
le désespoir de vivre aux douceurs de la vie.
Je crie
Je crie pour les enfants perdus.
J’écris.
Je crie pour la femme éventrée.
J’écris.
Je crie pour le soleil qu’on souille.
J’écris.
Je crie pour la ville qu’on brûle.
J’écris.
Je crie pour l’arbre assassiné.
J’écris.
Je crie pour le rêve sans fond.
J’écris.
Je crie pour la planète folle.
J’écris
de ne pouvoir crier.
Merci
Je ne dis plus merci.
Je ne dis plus pardon.
Je charge mes poèmes
de vous porter
ma frayeur et mon doute,
ma certitude et ma tendresse.
Je ne dis plus oiseau.
Je ne dis plus tangage.
Je charge mes poèmes
de vous offrir
les neiges, les merveilles,
les chagrins, le printemps, le cœur lourd.
Je ne dis plus midi.
Je ne dis plus demain.
Je charge mes poèmes
de changer la colombe
en tulipe qui flambe.
Je ne dis plus la vie.
Je ne dis plus la mort.
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