DE NAVARRE, Marguerite



Heptaméron

.....
Le mariage consommé, le gentilhomme récrivit à sa mère, disant que dorénavant ne lui pouvait nier  la porte de sa maison, vu qu'il lui menait une belle-fille aussi parfaite que l'on saurait désirer. La dame, qui s'enquit quelle alliance il avait prise, trouva que c'était la propre fille d'eux deux, dont elle eut un deuil si désespéré, qu'elle cuida mourir soudainement, voyant que tant plus donnait d'empêchement à son malheur, et plus elle était le moyen dont augmentait. Elle, qui ne sut autre chose faire, s'en alla au légat d'Avignon, auquel elle confessa l'énormité de son péché, demandant conseil comment elle se devait conduire. Le légat, satisfaisant à sa conscience, envoya quérir plusieurs docteurs en théologie auxquels il communiqua l'affaire, sans nommer les personnages ; et trouva, par leur conseil, que la dame ne devait jamais rien dire de cette affaire à ses enfants, car, quant à eux, vu l'ignorance, ils n'avaient point péché, mais qu'elle en devait toute sa vie faire pénitence, sans leur en faire un seul semblant. Ainsi s'en retourna la pauvre dame en sa maison ; bientôt après arrivèrent son fils et sa belle-fille, lesquels s'entre-aimaient si fort que jamais mari ni femme n'eurent plus d'amitié et semblance, car elle était sa fille, sa sœur et sa femme, et lui à elle, son père, frère et mari. Ils continuèrent toujours en cette grande amitié, et la pauvre dame, en son extrême pénitence, ne les voyait jamais faire bonne chère, qu'elle ne se retirât pour pleurer.

.....