LILAR, Suzanne



Une enfance gantoise

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Soit que [la langue flamande] fût plus que le français propice à l’effusion, soit que les remous de l’émotion fissent affleurer quelque mémoire ancestrale, on la voyait remonter dans les gros mots de la colère ou les diminutifs de la tendresse et même, plus tragiquement, dans la débâcle de l’agonie. Ainsi arrivait-il qu’ayant vécu en français, l’on mourût en flamand. Ce fut le cas de ma mère, qui, peut-être pour l’avoir renié durant sa vie, se remit à parler flamand sur son lit de mort, avec précipitation et comme pour rattraper le temps perdu.

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Je trouvais là une langue naturellement poétique, des mots qui, à l’inverse des mots français, fuyaient la rigidité de la définition et demeuraient comme entrebâillés sur l’effusion amoureuse. Je découvrais le vocabulaire de la passion, cette chose si peu française que Racine n’avait pu la montrer que maîtrisée ou châtiée, vaincue par l’harmonie, et qui s’étalait ici triomphalement avec ses provocations et ses paradoxes : “Ce que l’amour a de plus doux, chantait Hadewijch, ce sont ses violences.

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