MALLET-JORIS, Françoise
Le rempart des béguines
Je la regardais avec écœurement. Sur ce visage que j'avais aimé, que j'avais admiré si éperdument, qui avait été mon soleil, mon horizon, l'incarnation même de la beauté, de la cruauté, d'une volupté et d'une souffrance également délicieuses, venaient de se peindre cette humilité odieuse des mendiants et des femmes battues, cette lâcheté des êtres irresponsables, cette même faiblesse que j'avais haïe en moi, et qu'elle m'avait appris à haïr.
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De l'autre côté du couloir, il y avait un miroir. C'était dans ce miroir que Mlle Paule se voyait, accueillant les malheureux avec sa sèche bienveillance, distribuant les aumônes comme des punitions, questionnant, agissant, et dominant son monde, malgré sa petite taille. C'était sa vie qui défilait dans ce miroir, sa vie de femme supérieure toujours correcte, se penchant, malgré sa culture et son éducation, sur les ignorants et les pauvres. Comment n'eût-elle pas détesté cet été qui vidait le miroir, et la laissait là, inactive, les yeux ronds sous ses grosses lunettes, sortie tout à coup de son rêve, en face d'une réalité que rien ne masquait plus : son corps débile et laid ?
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Tout était gris dehors, froid, pur, sous le vent qui s'était levé avec le petit matin, balayant les odeurs de bière, de friture, de poisson, d'iodoforme, toutes les vieilles, les rassurantes odeurs humaines, jusqu'à celle du lit, trempé d'une sueur d'angoisse.
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