DRIEU LA ROCHELLE, Pierre
Le feu follet
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Plus loin, deux hommes causaient : M. Moraire et M. Brême. Tous les deux avaient été financiers et avaient considérablement accru des fortunes de famille. Mais des ennuis domestiques étaient venus à bout de leurs nerfs dégénérés :
cocus, tourment
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s par des enfants vicieux, l
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agent de change catholique et le coulissier juif avaient crois
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, ces jours-ci, chez le docteur de la Barbinais leurs chemins longtemps parall
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les. Ils se ha
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monieusement avec cette puissance de mutuelle considération qu’ont les uns pour les autres les juifs et les chrétiens.
Enfin, Mme de la Barbinais. C’était la seule folle de la maison. Bien qu’elle obligeât sans cesse son mari à lui faire l’amour, son gros ventre criait encore famine. Elle était entrée plusieurs fois chez Alain, les joues violettes, contenant des deux mains la panique de tous ses organes, car le prurit qui travaillait sa matrice semblait gagner son foie, son estomac. Elle avait des bâillements obscènes. Alain lui parlait avec une bonhomie si gentille qu’elle y trouvait une sorte de calmant ;
en titubant, elle repassait la porte et courait se rejeter sur le docteur.
Maintenant, il savait tout le prix de Dorothy. Au fond de lui-même, il croyait qu'il avait gardé un pouvoir sur elle et qu'il pouvait la reprendre, si enfin il s'en donnait la peine. Et il ne pouvait pas croire que l'émoi qu'il ressentait ne fût pas communicatif. Elle avait l'air si bon, sur cette photo. Sa bouche répétait ce que disaient les yeux : une tendresse timide. Ses seins frêles disaient encore la même chose, et sa peau qui fuyait sous ses doigts, ses mains friables.
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