GAUTIER, Théophile
La rose-thé
La plus délicate des roses
Est, à coup sûr, la rose-thé.
Son bouton aux feuilles mi-closes
De carmin à peine est teinté.
On dirait une rose blanche
Qu'aurait fait rougir de pudeur,
En la lutinant sur la branche,
Un papillon trop plein d'ardeur.
Son tissu rose et diaphane
De la chair a le velouté ;
Auprès, tout incarnat se fane
Ou prend de la vulgarité.
Comme un teint aristocratique
Noircit les fronts bruns de soleil,
De ses soeurs elle rend rustique
Le coloris chaud et vermeil.
Mais, si votre main qui s'en joue,
A quelque bal, pour son parfum,
La rapproche de votre joue,
Son frais éclat devient commun.
Il n'est pas de rose assez tendre
Sur la palette du printemps,
Madame, pour oser prétendre
Lutter contre vos dix-sept ans.
La peau vaut mieux que le pétale,
Et le sang pur d'un noble coeur
Qui sur la jeunesse s'étale,
De tous les roses est vainqueur !
A une robe rose
Que tu me plais dans cette robe
Qui te déshabille si bien,
Faisant jaillir ta gorge en globe,
Montrant tout nu ton bras païen !
Frêle comme une aile d’abeille,
Frais comme un coeur de rose-thé,
Son tissu, caresse vermeille,
Voltige autour de ta beauté.
De l’épiderme sur la soie
Glissent des frissons argentés,
Et l’étoffe à la chair renvoie
Ses éclairs roses reflétés.
D’où te vient cette robe étrange
Qui semble faite de ta chair,
Trame vivante qui mélange
Avec ta peau son rose clair ?
Est-ce à la rougeur de l’aurore,
A la coquille de Vénus,
Au bouton de sein près d’éclore,
Que sont pris ces tons inconnus ?
Ou bien l’étoffe est-elle teinte
Dans les roses de ta pudeur ?
Non ; vingt fois modelée et peinte,
Ta forme connaît sa splendeur.
Jetant le voile qui te pèse,
Réalité que l’art rêva,
Comme la princesse Borghèse
Tu poserais pour Canova.
Et ces plis roses sont les lèvres
De mes désirs inapaisés,
Mettant au corps dont tu les sèvres
Une tunique de baisers.
Au cimetière: Clair de lune
Connaissez-vous la blanche tombe
Où flotte avec un son plaintif
L'ombre d'un if?
Sur l'if une pâle colombe
Triste et seule au soleil couchant,
Chante son chant;
Un air maladivement tendre,
À la fois charmant et fatal,
Qui vous fait mal,
Et qu'on voudrait toujours entendre;
Un air comme en soupire aux cieux
L'ange amoureux.
On dirait que l'âme éveillée
Pleure sous terre à l'unisson
De la chanson,
Et du malheur d'être oubliée
Se plaint dans un roucoulement
Bien doucement.
Sur les ailes de la musique
On sent lentement revenir
Un souvenir;
Une ombre une forme angélique
Passe dans un rayon tremblant,
En voile blanc.
Les belles de nuit, demi-closes,
Jettent leur parfum faible et doux
Autour de vous,
Et le fantôme aux molles poses
Murmure en vous tendant les bras:
Tu reviendras?
Oh! jamais plus, près de la tombe
Je n'irai, quand descend le soir
Au manteau noir,
Écouter la pâle colombe
Chanter sur la pointe de l'if
Sur les lagunes
Ma belle amie est morte:
Je pleurerai toujours;
Sous la tombe elle emporte
Mon âme et mes amours.
Dans le ciel, sans m’attendre,
Elle s’en retourna;
L’ange qui l’emmena
Ne voulut pas me prendre.
Que mon sort est amer!
Ah! sans amour, s’en aller sur la mer!
Le blanche créature
Est chouchée au cercueil.
Comme dans la nature
Tout me paraît en deuil!
La colombe oubliée
Pleure et songe à l’absent;
Mon âme pleure et sent
Qu’elle est dépareillée.
Que mon sort est amer!
Ah! sans amour, s’en aller sur la mer!
Sur moi la nuit immense
S’étend comme un linceul;
Je chante ma romance
Que le ciel entend seul.
Ah! comme elle était belle,
Et comme je l’amais!
Je n’aimerai jamais
Une femme autant qu’elle.
Que mon sort est amer!
Ah! sans amour, s’en aller sur la mer!
Absence
Reviens, reviens, ma bien-aimée!
Comme une fleur loin du soleil,
La fleur de ma vie est fermée
Loin de ton sourire vermeil.
Entre nos cœurs quelle distance!
Tant d'espace entre nos baisers!
Ô sort amer! ô dure absence!
Ô grands désirs inapaisés!
Reviens, reviens, ma belle aimée!
Comme une fleur loin du soleil,
La fleur de ma vie est fermée
Loin de ton sourire vermeil!
D'ici là-bas que de campagnes,
Que de villes et de hameaux,
Que de vallons et de montagnes,
À lasser le pied des chevaux!
Reviens, reviens, ma belle aimée!
Comme une fleur loin du soleil,
La fleur de ma vie est fermée
Loin de ton sourire vermeil!
La caravane
La caravane humaine au Sahara du monde,
Par ce chemin des ans qui n'a pas de retour,
S'en va traînant le pied, brûlée aux feux du jour,
Et buvant sur ses bras la sueur qui l'inonde.
Le grand lion rugit et la tempête gronde ;
A l'horizon fuyard, ni minaret, ni tour ;
La seule ombre qu'on ait, c'est l'ombre du vautour,
Qui traverse le ciel cherchant sa proie immonde.
L'on avance toujours, et voici que l'on voit
Quelque chose de vert que l'on se montre au doigt :
C'est un bois de cyprès semé de blanches pierres.
Dieu, pour vous reposer, dans le désert du temps,
Comme des oasis, a mis les cimetières :
Couchez-vous et dormez, voyageurs haletants.
Dans la Sierra
J'aime d'un fol amour les monts fiers et sublimes !
Les plantes n'osent pas poser leurs pieds frileux
Sur le linceul d'argent qui recouvre leurs cimes ;
Le soc s'émousserait à leurs pics anguleux.
Ni vigne aux bras lascifs, ni blés dorés, ni seigles ;
Rien qui rappelle l'homme et le travail maudit.
Dans leur air libre et pur nagent des essaims d'aigles,
Et l'écho du rocher siffle l'air du bandit.
Ils ne rapportent rien et ne sont pas utiles ;
Ils n'ont que leur beauté, je le sais, c'est bien peu ;
Mais, moi, je les préfère aux champs gras et fertiles,
Qui sont si loin du ciel qu'on n'y voit jamais Dieu !
Infidélité
Voici l’orme qui balance
Son ombre sur le sentier ;
Voici le jeune églantier,
Le bois où dort le silence,
Le banc de pierre où, le soir,
Nous aimions à nous asseoir.
Voici la voûte embaumée
D’ébéniers et de lilas,
Où, lorsque nous étions las,
Ensemble, ô ma bien-aimée !
Sous des guirlandes de fleurs,
Nous laissions fuir les chaleurs.
Voici le marais que ride
Le saut du poisson d’argent,
Dont la grenouille en nageant
Trouble le miroir humide ;
Comme autrefois, les roseaux
Baignent leurs pieds dans ses eaux.
Comme autrefois, la pervenche,
Sur le velours vert des prés
Par le printemps diaprés,
Aux baisers du soleil penche
À moitié rempli de miel
Son calice bleu de ciel.
Comme autrefois, l’hirondelle
Rase, en passant, les donjons,
Et le cygne dans les joncs
Se joue et lustre son aile ;
L’air est pur, le gazon doux…
Rien n’a donc changé que vous.
Villanelle
Quand viendra la saison nouvelle,
Quand auront disparu les froids,
Tous les deux nous irons, ma belle,
Pour cueillir le muguet aux bois;
Sous nos pieds égrenant les perles
Que l'on voit au matin trembler,
Nous irons écouter les merles
Siffler.
Le printemps est venu, ma belle,
C'est le mois des amants béni,
Et l'oiseau, satinant son aile,
Dit des vers au rebord du nid.
Oh! viens donc, sur ce banc de mousse
Pour parler de nos beaux amours,
Et dis-moi de ta voix si douce:
Toujours!
Loin, bien loin, égarant nos courses,
Faisons fuir le lapin caché,
Et le daim au miroir des sources
Admirant son grand bois penché;
Puis chez nous, tout heureux, tout aises,
En paniers enlaçant nos doigts,
Revenons, rapportant des fraises
Des bois.
Le Printemps
Regardez les branches
Comme elles sont blanches,
Il neige des fleurs.
Riant de la pluie
Le soleil essuie
les saules en pleurs.
Et le ciel reflète
Dans la violette
Ses pures couleurs...
La mouche ouvre l’aile
Et la demoiselle
Aux prunelles d’or,
Au corset de guêpe
Dépliant son crêpe,
A repris l’essor.
L’eau gaiement babille,
Le goujon frétille
Un printemps encore!
A de beaux yeux verts
Vous avez un regard singulier et charmant ;
Comme la lune au fond du lac qui la reflète,
Votre prunelle, où brille une humide paillette,
Au coin de vos doux yeux roule languissamment ;
Ils semblent avoir pris ses feux au diamant ;
Ils sont de plus belle eau qu'une perle parfaite,
Et vos grands cils émus, de leur aile inquiète,
Ne voilent qu'à demi leur vif rayonnement.
Mille petits amours, à leur miroir de flamme,
Se viennent regarder et s'y trouvent plus beaux,
Et les désirs y vont rallumer leurs flambeaux.
Ils sont si transparents, qu'ils laissent voir votre âme,
Comme une fleur céleste au calice idéal
Que l'on apercevrait à travers un cristal.
Les Colombes
Sur le coteau, là-bas où sont les tombes,
Un beau palmier, comme un panache vert,
Dresse la tête, où le soir les colombes
Viennent nicher et se mettre à couvert.
Mais le matin elles quittent les branches :
Comme un collier qui s'égrène, on les voit
S'éparpiller dans l'air bleu, toutes blanches,
Et se poser plus loin sur quelque toit.
Mon âme est l'arbre où tous les soirs, comme elles,
De blancs essaims de folles visions
Tombent des cieux en palpitant des ailes,
Pour s'envoler dès les premiers rayons.
Adieux à la poésie
Allons, ange déchu, ferme ton aile rose ;
Ôte ta robe blanche et tes beaux rayons d'or ;
Il faut, du haut des cieux où tendait ton essor,
Filer comme une étoile, et tomber dans la prose.
Il faut que sur le sol ton pied d'oiseau se pose.
Marche au lieu de voler : il n'est pas temps encor ;
Renferme dans ton cœur l'harmonieux trésor ;
Que ta harpe un moment se détende et repose.
Ô pauvre enfant du ciel, tu chanterais en vain
Ils ne comprendraient pas ton langage divin ;
À tes plus doux accords leur oreille est fermée !
Mais, avant de partir, mon bel ange à l'œil bleu,
Va trouver de ma part ma pâle bien-aimée,
Et pose sur son front un long baiser d'adieu !
Qui marche sans le corps dont elle est arrachée, Crispe ses doigts crochus armés d’ongles de fer Pour me saisir ; des feux pareils aux feux d’enfer Se croisent devant moi ; dans l’ombre, des yeux fauves Rayonnent ; des vautours, à cous rouges et chauves, Battent mon front de l’aile en poussant des cris sourds; En vain pour me sauver je lève mes pieds lourds, Des flots de plomb fondu subitement les baignent, À des pointes d’acier ils se heurtent et saignent, Meurtris et disloqués ; et mon dos cependant, Ruisselant de sueur, frissonne au souffle ardent De naseaux enflammés, de gueules haletantes : Les voilà, les voilà ! dans mes chairs palpitantes Je sens des becs d’oiseaux avides se plonger,
Fouiller profondément, jusqu’aux os me ronger,
Comme une scie aiguë, et des pinces qui tordent ; Ensuite le sol manque à mes pas chancelants : Un gouffre me reçoit ; sur des rochers brûlants, Sur des pics anguleux que la lune reflète, Tremblant, je roule, roule, et j’arrive squelette. Dans un marais de sang ; bientôt, spectres hideux, Des morts au teint bleuâtre en sortent deux à deux, Et, se penchant vers moi, m’apprennent les mystères Que le trépas révèle aux pâles feudataires De son empire ; alors, étrange enchantement, Ce qui fut moi s’envole, et passe lentement À travers un brouillard couvrant les flèches grêles D’une église gothique aux moresques dentelles. Déchirant une proie enlevée au tombeau, En me voyant venir, tout joyeux, un corbeau Croasse, et, s’envolant aux steppes de l’Ukraine, Par un pouvoir magique à sa suite m’entraîne, Et j’aperçois bientôt, non loin d’un vieux manoir, À l’angle d’un taillis, surgir un gibet noir Soutenant un pendu ; d’effroyables sorcières Dansent autour, et moi, de fureurs carnassières Agité, je ressens un immense désir De broyer sous mes dents sa chair, et de saisir, Avec quelque lambeau de sa peau bleue et verte, Son cœur demi-pourri dans sa poitrine ouverte.
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Die loopt zonder het lichaam waarvan ze is losgerukt, Haar kromme vingers samen, gewapend met ijzeren nagels Om me te grijpen; vuren gelijk hellehaarden laaien Voor me door elkaar; in de schaduw stralen wilde ogen; Gieren, met rode nekken en kale koppen, slaan Met hun vleugels op mijn hoofd, heimelijk krijtend; Om mezelf te redden hef ik vergeefs mijn zware voeten, Die baden in stromen plots gesmolten lood, en Die zich aan stalen spijlen kwetsen en bloeden, Gekneusd en ontwricht; terwijl mijn rug, Druipend van het zweet, huivert van de gloeiende tocht Uit vlammende neusgaten, uit hijgende muilen: Daar zijn ze, daar zijn ze! in mijn lillend lijf Voel ik gretige vogelsnavels pikken, Diep graven, tot aan mijn botten knagen, En dan de wolven- en slangentanden die bijten Als een scherpe zaag, en een wringende tang; De grond begeeft dan onder mijn wankele stappen: Ik val in een afgrond; op brandende rotsen, Op hoekige pieken weerkaatst door de maan, Rillend rol ik en rol ik en eindig ik als geraamte. In een poel van bloed; dra komen afgrijselijke spoken, Zij verworden tot blauwachtige doden, twee aan twee, En, zich buigend over mij, leren ze me de geheimen Die het Verscheiden openbaart aan de fletse lijfeigenen Van zijn Rijk; daarna een vreemde betovering, Wat ik was, vervliegt en trekt langzaam Door een mist die de spichtige torenspitsen omhult Van een gotische kerk met Moorse kantelen. En verslindt een prooi uit het graf gehaald, Als hij me ziet komen, krast een kraai heel en al vrolijk, En neemt me mee, vliegend naar Oekraïense steppen, met een hem omgevende magische kracht, En ik zie al snel, niet ver van een oud landhuis, Een zwarte galg aan een struikgewas opdoemen Waaraan een gehangene bengelt; vreselijke heksen Dansen er rond, en ik, door vleesetende razernij Opgezweept, voel een onmetelijk verlangen om Zijn vlees onder mijn tanden te verbrijzelen, En, samen met een flard van zijn blauwgroene huid,
Zijn half verrotte hart in zijn gapende borst te grijpen.
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Notre-Dame
II.
Mais qu’est-ce que cela ? lorsque l’on a dans l’ombre
Suivi l’escalier svelte aux spirales sans nombre
Et qu’on revoit enfin le bleu,
Le vide par-dessus et par-dessous l’abîme,
Une crainte vous prend, un vertige sublime
A se sentir si près de Dieu !
Ainsi que sous l’oiseau qui s’y perche, une branche
Sous vos pieds qu’elle fuit, la tour frissonne et penche,
Le ciel ivre chancelle et valse autour de vous ;
L’abîme ouvre sa gueule, et l’esprit du vertige,
Vous fouettant de son aile en ricanant voltige
Et fait au front des tours trembler les garde-fous,
Les combles anguleux, avec leurs girouettes,
Découpent, en passant, d’étranges silhouettes
Au fond de votre oeil ébloui,
Et dans le gouffre immense où le corbeau tournoie,
Bête apocalyptique, en se tordant aboie,
Paris éclatant, inouï !
Oh ! le coeur vous en bat, dominer de ce faîte,
Soi, chétif et petit, une ville ainsi faite ;
Pouvoir, d’un seul regard, embrasser ce grand tout,
Debout, là-haut, plus près du ciel que de la terre,
Comme l’aigle planant, voir au sein du cratère,
Loin, bien loin, la fumée et la lave qui bout !
De la rampe, où le vent, par les trèfles arabes,
En se jouant, redit les dernières syllabes
De l’hosanna du séraphin ;
Voir s’agiter là-bas, parmi les brumes vagues,
Cette mer de maisons dont les toits sont les vagues ;
L’entendre murmurer sans fin ;
Que c’est grand ! que c’est beau ! les frêles cheminées,
De leurs turbans fumeux en tout temps couronnées,
Sur le ciel de safran tracent leurs profils noirs,
Et la lumière oblique, aux arêtes hardies,
Jetant de tous côtés de riches incendies
Dans la moire du fleuve enchâsse cent miroirs.
Comme en un bal joyeux, un sein de jeune fille,
Aux lueurs des flambeaux s’illumine et scintille
Sous les bijoux et les atours ;
Aux lueurs du couchant, l’eau s’allume, et la Seine
Berce plus de joyaux, certes, que jamais reine
N’en porte à son col les grands jours.
Des aiguilles, des tours, des coupoles, des dômes
Dont les fronts ardoisés luisent comme des heaumes,
Des murs écartelés d’ombre et de clair, des toits
De toutes les couleurs, des résilles de rues,
Des palais étouffés, où, comme des verrues,
S’accrochent des étaux et des bouges étroits !
Ici, là, devant vous, derrière, à droite, à gauche,
Des maisons ! des maisons ! le soir vous en ébauche
Cent mille avec un trait de feu !
Sous le même horizon, Tyr, Babylone et Rome,
Prodigieux amas, chaos fait de main d’homme,
Qu’on pourrait croire fait par Dieu !
Le spectre de la rose
Soulève ta paupière close
Qu’effleure un songe virginal ;
Je suis le spectre d’une rose
Que tu portais hier au bal.
Tu me pris encore emperlée
Des pleurs d’argent de l’arrosoir,
Et parmi la fête étoilée
Tu me promenas tout le soir.
Ô toi qui de ma mort fus cause,
Sans que tu puisses le chasser
Toute la nuit mon spectre rose
A ton chevet viendra danser.
Mais ne crains rien, je ne réclame
Ni messe, ni De Profundis ;
Ce léger parfum est mon âme
Et j’arrive du paradis.
Mon destin fut digne d’envie :
Pour avoir un trépas si beau,
Plus d’un aurait donné sa vie,
Car j’ai ta gorge pour tombeau,
Et sur l’albâtre où je repose
Un poète avec un baiser
Ecrivit : Ci-gît une rose
Que tous les rois vont jalouser
Soleil couchant
Notre-Dame
Que c’est beau !
Victor Hugo
En passant sur le pont de la Tournelle, un soir,
Je me suis arrêté quelques instants pour voir
Le soleil se coucher derrière Notre-Dame.
Un nuage splendide à l’horizon de flamme,
Tel qu’un oiseau géant qui va prendre l’essor,
D’un bout du ciel à l’autre ouvrait ses ailes d’or,
Et c’était des clartés à baisser la paupière.
Les tours au front orné de dentelles de pierre,
Le drapeau que le vent fouette, les minarets
Qui s’élèvent pareils aux sapins des forêts,
Les pignons tailladés que surmontent des anges
Aux corps roides et longs, aux figures étranges,
D’un fond clair ressortaient en noir ; l’Archevêché,
Comme au pied de sa mère un jeune enfant couché,
Se dessinait au pied de l’église, dont l’ombre
S’allongeait à l’entour mystérieuse et sombre.
Plus loin, un rayon rouge allumait les carreaux
D’une maison du quai ; - l’air était doux ; les eaux
Se plaignaient contre l’arche à doux bruit, et la vague
De la vieille cité berçait l’image vague ;
Et moi, je regardais toujours, ne songeant pas
Que la nuit étoilée arrivait à grands pas