SHALMANI, Abnousse
Khomeiny, Sade et moi
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Les gardiens de la Révolution étaient les seigneurs de la rue et il m’était impossible de m’y dévêtir. Ils étaient autrement plus coriaces que les corbeaux de la cour d’école. Ils étaient incontrôlables, persuadés de leur bon droit, victorieux. Non seulement j’étais toujours accompagnée, mais le voile n’était pas obligatoire dans la rue pour les fillettes de moins de huit ans. Tout dépendait du quartier où il fallait se rendre. Dans le bazar ou dans les quartiers administratifs, ma mère me couvrait toujours la tête, alors qu’on pouvait laisser mes cheveux visibles dans les quartiers bourgeois du nord de Téhéran. Tout le monde était obsédé par le corps ou plutôt par l’absence de corps. Téhéran n’était plus peuplé que de visages
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Mais je n’étais pas la seule à jouer à ce jeu-là. La nudité était ce qui occupait tout le monde, juste avant et après la Révolution des mollahs. J’entends encore les questions, les doutes et les pressions autour de telle jupe qui découvrait trop les chevilles ou telle chemise qui était trop décolletée pour dîner chez Untel. L’inspection du corps avant de sortir était un rituel indispensable. « Tu es complètement folle ! Tu ne peux pas sortir comme ça ! » était la phrase de rigueur avant d’affronter l’extérieur. Car la police des mœurs et ses gardiens de la Révolution veillaient au grain, à chaque coin de rue. Ils regardaient passer les hommes et les femmes en les observant avec une attention malsaine, un voyeurisme assumé, un « reluquage » dans les règles de l’art, traquant le moindre bout de peau échappé à la vigilance familiale. Le regard des barbus et des corbeaux n’est pas pudique. Eux qui prônent la disparition du corps et insultent ceux qui osent lever les yeux, promènent leurs regards perçants sur une foule apeurée, les déshabillant au nom de la loi.
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