DURAND, Oswald

Choucoune

Dèiè yon gwo touff pingoin
L'aut'jou, moin contré Choucoune ;
Li sourit l'heur' li ouè moin,
Moin dit : "Ciel ! a là bell' moune !"
Li dit : "Ou trouvez çà, cher ?"
P'tits oéseaux ta pé couté nous lan l'air...
Quand moin songé ça, moin gagnin la peine,
Car dimpi jou-là, dé pieds-moin lan chaîne"


Choucoun' cé yon marabout :
Z'yeux-li clairé com' chandelle.
Li gangnin tété doubout,...
- Ah ! si Choucoun' té fidèle !
- Nous rété causer longtemps...
Jusqu' z'oéseaux lan bois té paraîtr' contents!...
Pitôt blié ça, cé trop grand la peine,
Car dimpi jou-là, dé pieds moin lan chaîne !


P'tits dents Choucoun' blanch' com' lait'
Bouch'-li couleur caïmite ;
Li pas gros femm', li grassett' :
Femm'com' ça plai moin tout d'suite...
Temps passé pas temps jodi !...
Z'oéseaux té tendé tout ça li té dit...
Si yo songé çà, yo doué lan la peine,
Car dimpi jou-là, dé pieds moin lan chaîne.

N'allé la caze maman-li ;
- Yon grand moun' qui bien honnête !
Sitôt li ouè moin, li dit :
"Ah ! moin content cilà nette !"
Nous bouè chocolat aux noix
Est-c'tout çà fini, p'tits z'oéseaux lan bois ?
- Pitôt blié çà, cé trop grand la peine,
Car dimpi jou-là, dé pieds moin lan chaîne.

Meubl' prêt', bell' caban' bateau,
Chais' rotin, tabl' rond', dodine,
Dé mat'las, yon port'manteau,
Napp', serviette, rideau mouss'line...
Quinz' jou sèl'ment té rété...
P'tits oéseaux lan bois, couté-moin, couté !...
Z'autr' tout' va comprendr" si moin lan la peine,
Si dimpi jou-là dé pieds-moin lan chaîne...

Yon p'tit blanc vini rivé :
P'tit' barb' roug', bell' figur' rose ;
Montr' sous côté, bell' chivé...
- Malheur moin, li qui la cause !...
Li trouvé Choucoun' joli :
Li parlé francé, Choucoun' aimé-li...
Pitôt blié ça, cé trop grand la peine,
Choucoun' quitté moin, dé pieds-moin lan chaîne !

Cà qui pis trist' lan tout ça,
Cà qui va surprendr' tout' moune,
Ci pou ouè malgré temps-là,
Moin aimé toujours Choucoune !
- Li va fai' yon p'tit quat'ron...
P'tits z'oéseaux, gadé ! P'tit ventr'-li bien rond !...
Pé ! Fémin bec z'autr', cé trop grand la peine :
Dé pieds pitit Pierr', dé pieds-li lan chaîne !

Derrière une grosse touffe de cactus

L'autre jour je rencontrai Choucoune ;

Elle sourit quand elle me vit :

Je dis : Ciel ! oh ! la belle personne !

Elle dit : Vous trouvez , mon cher?

Les petits oiseaux nous écoutaient en l'air…

Quand j'y songe, que j'ai de la peine,

Car depuis ce jour-là, mes deux pieds sont dans la chaîne.

Choucoune est une marabout,

Ses yeux brillent comme des chandelles,

Elle a des seins droits…

- Ah ! Si Choucoune avait été fidèle !

Nous restâmes à causer longtemps,

Au point que les oiseaux dans les bois en parurent contents !

Plutôt oublier ça ! C'est trop grande peine,

Car depuis ce jour-là, mes deux pieds sont dans la chaîne.

Les petites dents de Choucoune sont blanches

comme du lait,

sa bouche est couleur caïmite ,

Elle n'est pas grosse mais grassouillette,

De pareilles femmes me plaisent tout de suite…

Le temps passé n'est pas le temps d'aujourd'hui!

Les oiseaux avaient entendus tout ce qu'elle avait dit

S'ils songent à cela, ils doivent être dans la tristesse.

Car depuis ce jour-là, mes deux pieds sont dans la chaîne.

Nous allâmes à la case de sa maman :

Une vieille bien honnête !

Aussitôt qu'elle me vit, elle dit

- Ah ! Je sui contente de celui-là, nettement !

Nous bûmes du chocolat aux noix…

Est-ce que tout cela est fini, petits oiseaux qui

Êtes dans le bois ?

Plutôt oublier ça, c'est trop grande peine,

Car depuis ce jour-là, mes deux pieds sont dans la chaîne.

Les meubles étaient prêts : beau lit bateau,

Chaise de rotin, table ronde,

Deux matelas, un porte-manteau,

Des nappes, des serviettes,

des rideaux de mousseline…

Il ne restait plus que quinze jours…

Petits oiseaux qui êtes dans les bois,

écoutez-moi, écoutez !…

Vous aussi vous allez comprendre si je suis dans le chagrin,

Si depuis ce jour-là, mes deux pieds sont dans la chaîne !

Voilà qu'un petit blanc arrive :

Petite barbe rouge, belle figure rose,

Montre au côté, jolis cheveux…

Mon malheur, c'est lui qui en est la cause !

Il trouve Choucoune jolie,

Il parle Français… Choucoune l'aime…

Plutôt oublier ça, c'est trop grande peine,

Choucoune me quitte, mes deux pieds sont dans la chaîne.

Le plus triste de tout,

Ce qui va surprendre tout le monde,

C'est de voir que, malgré ce temps-là,

J'aime toujours Choucoune !

Elle va faire un petit quarteron !

Petits oiseaux, regardez, son petit ventre est rond !

Taisez-vous ! Fermez vos becs ! C'est une trop grande peine :

Les deux pieds de petit Pierre, ses deux pieds sont dans la chaîne !