MOUSTAKI, Georges


Ma Solitude

Pour avoir si souvent dormi avec ma solitude,
Je m'en suis fait presque une amie, une douce habitude.
Elle ne me quitte pas d'un pas, fidèle comme une ombre.
Elle m'a suivi ça et là, aux quatres coins du monde.

Non, je ne suis jamais seul avec ma solitude.

Quand elle est au creux de mon lit, elle prend toute la place,
Et nous passons de longues nuits, tous les deux face à face.
Je ne sais vraiment pas jusqu'où ira cette complice,
Faudra-t-il que j'y prenne goût ou que je réagisse?

Non, je ne suis jamais seul avec ma solitude.

Par elle, j'ai autant appris que j'ai versé de larmes.
Si parfois je la répudie, jamais elle ne désarme.
Et, si je préfère l'amour d'une autre courtisane,
Elle sera à mon dernier jour, ma dernière compagne.

Non, je ne suis jamais seul avec ma solitude.
Non, je ne suis jamais seul avec ma solitude.


Le temps de vivre

Nous prendrons le temps de vivre,
D'être libres, mon amour.
Sans projets et sans habitudes,
Nous pourrons rêver notre vie.

Viens, je suis là, je n'attends que toi.
Tout est possible, tout est permis.

Viens, écoute ces mots qui vibrent
Sur les murs du mois de mai.
Ils nous disent la certitude
Que tout peut changer un jour.

Viens, je suis là, je n'attends que toi.
Tout est possible, tout est permis.

Nous prendrons le temps de vivre,
D'être libres, mon amour.
Sans projets et sans habitudes,
Nous pourrons rêver notre vie.


Le métèque

Avec ma gueule de métèque,

De Juif errant, de pâtre grec

Et mes cheveux aux quatre vents,

Avec mes yeux tout délavés

Qui me donnent l'air de rêver,

Moi qui ne rêve plus souvent

Avec mes mains de maraudeur,

De musicien et de rôdeur

Qui ont pillé tant de jardins,

Avec ma bouche qui a bu,

Qui a embrassé et mordu

Sans jamais assouvir sa faim

Avec ma gueule de métèque,

De Juif errant, de pâtre grec,

De voleur et de vagabond,

Avec ma peau qui s'est frottée

Au soleil de tous les étés

Et tout ce qui portait jupon,

Avec mon cœur qui a su faire

Souffrir autant qu'il a souffert

Sans pour cela faire d'histoires,

Avec mon âme qui n'a plus

La moindre chance de salut

Pour éviter le purgatoire

Avec ma gueule de métèque,

De Juif errant, de pâtre grec

Et mes cheveux aux quatre vents,

Je viendrai, ma douce captive,

Mon âme sœur, ma source vive,

Je viendrai boire tes vingt ans

Et je serai Prince de sang,

Rêveur ou bien adolescent,

Comme il te plaira de choisir;

Et nous ferons de chaque jour

Toute une éternité d'amour

Que nous vivrons à en mourir.

Et nous ferons de chaque jour

Toute une éternité d'amour

Que nous vivrons à en mourir.



Sarah

La femme qui est dans mon lit

N'a plus vingt ans depuis longtemps.

Les yeux cernés

Par les années,

Par les amours

Au jour le jour,

La bouche usée

Par les baisers,

Trop souvent mais

Trop mal donnés,

Le teint blafard

Malgré le fard,

Plus pâle qu'une

Tache de lune.

La femme qui est dans mon lit

N'a plus vingt ans depuis longtemps.

Les seins trop lourds

De trop d'amours

Ne portent pas

Le nom d'appâts,

Le corps lassé

Trop caressé,

Trop souvent mais

Trop mal aimé.

Le dos voûté

Semble porter

Les souvenirs

Qu'elle a dû fuir.

La femme qui est dans mon lit

N'a plus vingt ans depuis longtemps.

Ne riez pas.

N'y touchez pas.

Gardez vos larmes

Et vos sarcasmes.

Lorsque la nuit

Nous réunit,

Son corps, ses mains

S'offrent aux miens

Et c'est son cœur

Couvert de pleurs

Et de blessures

Qui me rassure.


Le Facteur


Le jeune facteur est mort

Il n'avait que dix-sept ans

Tout est fini pour lui maintenant

L'amour ne peut plus voyager

Il a perdu son messager


C'est lui qui venait chaque jour

Les bras chargés de tous mes mots d'amour

C'est lui qui portait dans ses mains

La fleur d'amour cueillie dans ton jardin


Il est parti dans le ciel bleu

comme un oiseau enfin libre et heureux

Et quand son âme me l'a quitté

Un rossignol quelque part a chanté


Je t'aime autant que je t'aimais

Mais je ne peux le dire désormais

Il a emporté avec lui

Les derniers mots que je t'avais écrit


Il n'ira plus sur les chemins

Fleuris de rose et de jasmin

Qui mènent jusqu'à ta maison

On on on on on


L'amour ne peut plus voyager

Il a perdu son messager

Et mon coeur est comme en prison

On on on on on


Il est parti l'adolescent

Qui t'apportait mes joies et mes tourments

L'hiver a tué le printemps

Tout est fini pour nous deux maintenant.



La dame brune


Pour une longue dame brune

J'ai inventé

Une chanson au clair de la lune

Quelques couplets

Si jamais, elle l'entend, un jour

Elle saura

Que c'est une chanson d'amour

Pour elle et moi


Je suis la longue dame brune

Que tu attends

Je suis la longue dame brune

Et je t'entends

Chante encore au clair de la lune

Je viens vers toi

Ta guitare, ancre de fortune

Guide mes pas


Pierrot m'avait prêté sa plume

Ce matin–là

A ma guitare de fortune

Je pris le La

Je me suis pris pour un poète

En écrivant

Les mots qui passaient par ma tête

Comme le vent


Pierrot t'avait prêté sa plume

Cette nuit–là

A ta guitare de fortune

Tu pris le La

Et tu t'es pris pour un poète

En écrivant

Les mots qui passaient par ta tête

Comme le vent


J'ai habillé la dame brune

Dans mes pensées

D'un morceau de voile de brume

Et de rosée

J'ai fait son lit contre ma peau

Pour qu'elle soit bien

Bien à l'abri et bien au chaud

Entre mes mains


Habillée d'une voile de brume

Et de rosée

Je suis la longue dame brune

De ta pensée

Chante encore au clair de la lune

Je viens vers toi

A travers les monts et les dunes

J'entends ta voix


Pour une longue dame brune

J'ai inventé

Une chanson au clair de la lune

Quelques couplets

Je sais qu'elle l'entendra un jour

Qui sait, demain

Pour que cette chanson d'amour

Finisse bien


Bonjour, je suis la dame brune

J'ai tant marché

Bonjour, je suis la dame brune

Je t'ai trouvé

Fais–moi place au creux de ton lit

Je serai bien

Bien au chaud et bien à l'abri

Contre tes reins



Ma liberté


Ma liberté

Longtemps je t'ai gardée

Comme une perle rare

Ma liberté

C'est toi qui m'a aidé

À larguer les amarres

Pour aller n'importe où, pour aller jusqu'au bout des chemins de fortune

Pour cueillir, en rêvant, une rose des vents sur un rayon de lune


Ma liberté

Devant tes volontés

Mon âme était soumise

Ma liberté

Je t'avais tout donné

Ma dernière chemise

Et combien j'ai souffert

Pour pouvoir satisfaire tes moindres exigences

J'ai changé de pays, j'ai perdu mes amis pour gagner ta confiance


Ma liberté

Tu as su désarmer

Toutes mes habitudes

Ma liberté

Toi qui m'a fait aimer

Même la solitude

Toi qui m'as fait sourire

Quand je voyais finir une belle aventure

Toi qui m'as protégé quand j'allais me cacher pour soigner mes blessures


Ma liberté

Pourtant je t'ai quittée

Une nuit de Décembre

J'ai déserté les chemins écartés

Que nous suivions ensemble

Lorsque sans me méfier

Les pieds et poings liés, je me suis laissé faire

Et je t'ai trahi pour une prison d'amour et sa belle geôlière

Et je t'ai trahi pour une prison d'amour et sa belle geôlière




Milord


Allez, venez, Milord!

Vous asseoir à ma table

Il fait si froid, dehors

Ici c'est confortable

Laissez-vous faire, Milord

Et prenez bien vos aises

Vos peines sur mon cœur

Et vos pieds sur une chaise

Je vous connais, Milord

Vous n'm'avez jamais vue

Je n'suis qu'une fille du port

Qu'une ombre de la rue


Pourtant j'vous ai frôlé

Quand vous passiez hier

Vous n'étiez pas peu fier

Dame! Le ciel vous comblait

Votre foulard de soie

Flottant sur vos épaules

Vous aviez le beau rôle

On aurait dit le roi

Vous marchiez en vainqueur

Au bras d'une demoiselle

Mon Dieu! Qu'elle était belle

J'en ai froid dans le cœur


Allez, venez, Milord!

Vous asseoir à ma table

Il fait si froid, dehors

Ici c'est confortable

Laissez-vous faire, Milord

Et prenez bien vos aises

Vos peines sur mon cœur

Et vos pieds sur une chaise

Je vous connais, Milord

Vous n'm'avez jamais vue

Je n'suis qu'une fille du port

Qu'une ombre de la rue


Dire qu'il suffit parfois

Qu'il y ait un navire

Pour que tout se déchire

Quand le navire s'en va

Il emmenait avec lui

La douce aux yeux si tendres

Qui n'a pas su comprendre

Qu'elle brisait votre vie

L'amour, ça fait pleurer

Comme quoi l'existence

Ça vous donne toutes les chances

Pour les reprendre après


Allez, venez, Milord!

Vous avez l'air d'un môme!

Laissez-vous faire, Milord

Venez dans mon royaume

Je soigne les remords

Je chante la romance

Je chante les milords

Qui n'ont pas eu de chance!

Regardez-moi, Milord

Vous n'm'avez jamais vue

Mais vous pleurez, Milord?

Ça j'l'aurais jamais cru


Eh ben, voyons, Milord!

Souriez-moi, Milord!

Mieux qu'ça! Un p'tit effort

Voilà, c'est ça!

Allez, riez, Milord!

Allez, chantez, Milord!