BORN, Bertran de



Sur la mort du jeune roi d’Angleterre (XIIe siècle)


Si tous les deuils et pleurs et rnarriments.

Et les douleurs, les misères, les dams,

Qu'on ait ouïs en ce siècle dolent,

Fussent ensemble, sembleraient tous légers

Contre la mort du jeune roi anglais,

Dont reste Prix et Honneur douloureux,

Le monde obscur et noir et ténébreux,

Sevré de joie, plein de tristesse et d'ire.


Dolents et tristes et pleins de marriment

Sont demeurés les courtois soudoyers,

Les troubadours et jongleurs avenants ;

Trop ils ont eu en Mort mortel guerrier.


Ravi leur a le jeune roi anglais,

Près de qui sont convoiteux les plus larges.

Plus ne sera ni ne croyez que fût

Près de ce dam, au siècle, pleur ni ire.


Farouche Mort, pleine de marriment,

Vanter le peux, le meilleur chevalier

Ravis au monde, qu'onc fut de nulle gent,

Car il n'est rien qui soit utile à Prix,

Qui tout ne fût au jeune roi anglais ;

Et serait mieux, si Dieu aimait raison,

Qu'il vécût, lui, que maints autres félons

Qui jà ne firent aux preux que deuil et ire.


De ce siècle mou, plein de marriment,

Si Amour part, son bien tiens mensonger,

Car rien n'y a qui ne tourne en cuisant;

Toujours déchoit et vaut moins Hui que Hier.

Que chacun suive le jeune roi anglais,

Qui fut du monde le plus vaillant des preux.

Or est parti son gent corps amoureux,

Dont est douleur et déconfort et ire.

A celui qui, dans notre marriment.

Vint en ce monde nous tirer du malheur

Et reçut mort pour notre sauvemen],

Comme à Seigneur clément et droiturier

Clamons merci, qu'au jeune roi anglais

Pardonner veuille, comme il est vrai pardon,

Le mette près des nobles compagnons,

Là où deuil onc n'y a ni aura ire.