ROY, Claude
Mémoire Nocturne
Il y a dans les grands couloirs du souvenir
tant de clefs tant de portes et de voix et de cris
tant de passants obscurs et d'inquiets voyageurs
Je ne sais où frapper je ne sais où dormir
Ouvrez ouvrez enfin à celui qui attend
avant la fin du jour et d'échos en échos
les navires les trains gémiront sur la ville
Derière cette porte une femme a chanté
la chanson celle-là que j'ai sue à vingt ans
La clef est au tableau Sur la pointe des pieds
Montez les marches l'escalier de la mémoire
qui grince comme les escaliers d'autrefois
tourne et tourne aux paliers de la mélancolie
Le tapis est usé et il n'est pas le seul
A l'étage au-dessus il y a une fille
j'entends marcher pieds nus l'enfant d'une autre vie
et je sais qu'elle est nue que ses cheveux dénoués
brillent dans le miroir au cadre de velours
A l'étage au-dessus il y a un garçon
et je l'entends siffler et je l'entends sortir
et les livres sont lourds les rues trop éclairées
L'autobus ralentit au coin du carrefour
Au travers de ces vies au travers de ces portes
il y aura plus tard le pas des spectateurs
qui sortent à minuit des cinés du quartier
Je n'ose pas frapper ici on fait l'amour
Une femme gémit La lumière s'éteint
La même lampe la même femme qu'autrefois
Tous les laitiers de Paris réveilleront
tous les amants dans les bras de celle qu'ils aiment
Changez de cavalier quand sonne le réveil
Changez de souvenir à chaque point du jour
Il faut se rendormir jusqu'au retour des boueux
Je t'aimais tu m'aimais autrefois autrefois
Je te cherche et t'attends dans les longs corridors
Mais tu n'es plus derrière aucune de ces portes
ni toi ni aucune autre absentes que j'attends
A l'étage au-dessus j'ai reconnu la voix
et le ton et les mots que j'ai sus autrefois
A l'étage au-dessus j'ai rencontré les yeux
et l'espoir et la foi que j'avais autrefois
Je ne sais où frapper je ne sais où dormir
Je ne sais plus parler je ne sais plus mentir
Mais qu'elle s'ouvre enfin la porte close
derrière laquelle il y a un jardin
et des enfants qui jouent et un chien qui aboie
et le petit garçon qui donne sa tartine
à la petite fille aux cheveux de maïs.