ROBIN, Armand


Le programme en quelques siècles

On supprimera la foi
Au nom de la lumière,
Puis on supprimera la lumière.

On supprimera l’âme
Au nom de la raison,
Puis on supprimera la raison.

On supprimera la charité
Au nom de la justice,
Puis on supprimera la justice.

On supprimera l’amour
Au nom de la fraternité,
Puis on supprimera la fraternité.

On supprimera l’esprit de vérité
Au nom de l’esprit critique,
Puis on supprimera l’esprit critique.

On supprimera le sens du mot
Au nom du sens des mots,
Puis on supprimera le sens des mots.

On supprimera le sublime
Au nom de l’art,
Puis on supprimera l’art.

On supprimera les écrits
Au nom des commentaires,
Puis on supprimera les commentaires.

On supprimera le saint
Au nom du génie,
Puis on supprimera le génie.

On supprimera le prophète
Au nom du poète,
Puis on supprimera le poète.

On supprimera l’esprit
Au nom de la matière,
Puis on supprimera la matière ;

AU NOM DE RIEN ON SUPPRIMERA L’HOMME .
ON SUPPRIMERA LE NOM DE L’HOMME .
IL N Y AURA PLUS DE NOM.
NOUS Y SOMMES.



Offre sans demande


Aujourd'hui de nouveau j'ai besoin de verser

Mon âme devant vous en encrier d'écolier

Qui fait sur les tabliers des taches difficiles à aimer.

Je surgis à peine des illettrés ;

Du moins malgré les livres je ne suis pas lettré ;

Je ne sais pas être un civilisé.

Je ne suis pas «avant», je ne suis pas «pendant»,je ne

suis pas « après » ;

Je suis nomade et non contemporain ;

Je suis avec vous tous mais en nuée ;

Mes miens, si

Purs, si

Grands, si

Vrais,

Je n'écris plus de livre ; les livres sont tous souillés;

Je lance quelques mots dans les vents et les nuées.

Ainsi que sont vos cœurs tous mes poèmes sont étouffés;

Poèmes dans les rives d'une rime en « é »

Poèmes d'un homme trépassé.

Qu'ils soient la

Parole et non des paroles,

La

Parole muette qui seule sait parler,

La

Parole condamnée qui seule peut sauver,

La

Parole niée qvii seule peut affirmer.

La

Parole qui ne peut jouer aucun rôle.



Lettre à mon père


Mon père, je t'écris dans l'encre rougeoyante de l'aurore.

Ma vie où les rochers et les ronces piquent encore,

Tu pourras la faucher, la sécher, l'engerber,

L'engranger parmi tes blés dans ton grenier.


J'ai gardé la douceur, le granit de jadis ;

Je n'ai pas effarouché de bruissetis dans les taillis ;

Sans troubler la toilette tintillonnante des bruyères,

Je te reviens, tout cahotant d'ornières.


Voici ma tête comme une lande courbe aux genêts soumis

Et mon âme vêtue en petit peu de lune bleuie.

Et viens, je te présente mon épouse : c'est l'épouse fatigue ;

Aprement, tendrement, nous jouâmes jour et nuit.


Je suis resté le chêne, la fontaine et le houx de chez nous;

Les moutons et les bœufs sous leurs pieds roux et mous

Me piétinent sourdement, lourdement, me délivrent

De ces risibles coquelicots que sont mes livres.


Mon âme est un buisson d'ajoncs que depuis dix ans

Ne viennent visiter ni chevaux, ni paysans;

Et pourtant, tu le sais,, les poulains à pleines dents

Me mangent lentement, chaudement, tendrement.


Mes poèmes, ne les regarde pas d'un œil trop gros ;

Je n'ai pas écrasé du réel sous mes mots ;

Ils sont trèfles trempés qu'à larges bras, très droit,

A vastes faux j'abats ; et tous sont du peuple, ont la foi.


Mon araire oscillante et délicate de poète,

Je la conduis, pas fier ; dans les souches hypocrites

Et criardes des images je titube. C'est un cheval bruissant

De harnais et de pas fidèles qui finit mon chant.


Père, je suis allé plus loin qu'à nous il n'est permis ;

Ils me disent poète et savant ! Je n'ai pas trahi

Notre ferme d'éternité. Loin des bourgeois mauvais

Je tiens bon dans notre règne de simples choses vraies.


Les fainéants près de moi disent : « Le fainéant, c'est lui ! »

Les méchants désarmés s'écrient : « Le méchant, c'est lui ! »

Et moi, pour qu'ils en vivent, je leur livrais gratis

L'âme du peuple, sa douceur, sa grandeur, son granit.


Tant mieux ! Père. Puisse l'insulte, gaulant mes branches,

M'arracher cette pomme sautillonnante d'impatience

Qu'est le cœur. Je veux rouler en fruit blessé aux pieds d'autrui

Eclaboussant mon instant d'herbe en d'autres vies.



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Paris ma grand' Ville

Trois millions de dénonciateurs

Sous l'oppresseur

Hitlérien

Trois millions de dénonciateurs

Sous l'oppresseur

Stalinien

Trois millions de dénonciateurs

Attendent tout oppresseur,

Lettre en main.

Et trois millions d'écrivains

Applaudissent: "C'est très bien !"


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Sans seuil, sans sol, sans ciel, vent par vent je m’étends,

Passager m’assaillant de hasards oscillants,

Me plissant en sillages sauvages, multipliant

L’ouragan par l’ouragan, éconduisant

L’écume, lente amante étendant son lit blanc