LA TOUR DU PIN, Patrice de



Laurence printanière


Voici que montent les aubes, d’une blancheur

Eclatante, au-dessus d’un fouillis d’anémones

Lumineuses, dans la matinale fraîcheur…


Pour entrer dans la danse légère d’avril,

Vos yeux ont pris la douceur des clairs de lune,

Et leur lumière brille et joue entre les cils.


Il vaut mieux ne jamais parler de moi, Laurence,

Si vous me permettez, et si divinement,

De goûter avec vous cette aube de printemps.

Je chanterai d’abord votre seule présence,

Puisque nos souvenirs, si merveilleux soient-ils,

Pâlissent à côté de cette aube d’avril;

Il vaut mieux négliger les joies antérieures

Pour jouir pleinement des dons qui sont offerts,

La lumière frôlant votre sein découvert,

Toute l’idéale tempête de six heures…


Voici venir la grande extase des réveils,

Et vous marchez parmi les fleurs printanières,

Heureuse et cueillant des monceaux de primevères

Pour les jeter à pleines mains dans le soleil.


Ne tremblez pas; je veux effleurer vos cheveux,

Les sentir et ne plus les sentir qu’en pensée,

Et puis les ressentir encore à la nausée,

Et puis garder le long des jours tout leur parfum…


Ne tremblez pas : il faut fermer les yeux d’abord,

Il faut vous jeter doucement dans l’herbe haute,

Il faut que je délivre vos cheveux, que j’ôte

L’agrafe qui maintient ce voile sur ce corps,

Offrant à la lumière cette peau si pure,

Cette gorge crépitant d’or et de luxure

Et que caressent les tiges comme des mains,

Ces seins qui sont gonflés de soleil et de sève,

Ces jambes lisses et blanches qui se soulèvent

Pour contenir le flot de volupté qui vient


Hors de l’âcre profusion de la terre

Qui monte soudain comme un raz de marée


Vers l’orgie dionysiaque de la chair

Et le désir bouleversant des mâles

Craquant jusqu’à l’épuisement de l’être,

Pour assouvir tout ce qui brûle et qui déborde,

Cette tempête lumineuse de printemps

Qui déferle sur les aubes de six heures…


Légende


Va dire à ma chère Ile, là-bas, tout là-bas,

Près de cet obscur marais de Foulc, dans la lande,

Que je viendrai vers elle ce soir, qu'elle attende,

Qu'au lever de la lune elle entendra mon pas.


Tu la trouveras baignant ses pieds sous les rouches,

Les cheveux dénoués, les yeux clos à demi,

Et naïve, tenant une main sur la bouche,

Pour ne pas réveiller les oiseaux endormis.


Car les marais sont tout embués de légende,

Comme le ciel que l'on découvre dans ses yeux,

Quand ils boivent la bonne lune sur la lande

Ou les vents tristes qui dévalent des Hauts-Lieux.


Dis-lui que j'ai passé des aubes merveilleuses

A guetter les oiseaux qui revenaient du nord,

Si près d'elle, étendue à mes pieds et frileuse

Comme une petite sauvagine qui dort.


Dis-lui que nous voici vers la fin de septembre,

Que les hivers sont durs dans ces pays perdus,

Que devant la croisée ouverte de ma chambre,

De grands fouillis de fleurs sont toujours répandus.


Annonce-moi comme un prophète, comme un prince,

Comme le fils d'un roi d'au-delà de la mer;

Dis-lui que les parfums inondent mes provinces

Et que les Hauts-Pays ne souffrent pas l'hiver.


Dis-lui que les balcons ici seront fleuris,

Qu'elle se baignera dans les étangs sans fièvre,

Mais que je voudrais voir dans ses yeux assombris

Le sauvage secret qui se meurt sur ses lèvres,


L'énigme d'un regard de pure transparence

Et qui brille parfois du fascinant éclair

Des grands initiés aux jeux de connaissance

Et des couleurs du large, sous les cieux déserts...