BOUVIER, Alexis



La Canaille


Dans la vieille cité française

Existe une race de fer

Dont l'âme comme une fournaise

A de son feu bronzé la chair.

Tous ses fils naissent sur la paille,

Pour palais ils n'ont qu'un taudis.

C'est la canaille, et bien j'en suis.


Ce n'est pas le pilier du bagne,

C'est l'honnête homme dont la main

Par la plume ou le marteau

Gagne en suant son morceau de pain.

C'est le père enfin qui travaille

Des jours et quelques fois des nuits.

C'est la canaille, et bien j'en suis.


C'est l'artiste, c'est le bohème

Qui sans souffler rime rêveur,

Un sonnet à celle qu'il aime

Trompant l'estomac par le cœur.

C'est à crédit qu'il fait ripaille

Qu'il loge et qu'il a des habits.

C'est la canaille, et bien j'en suis.


C'est l'homme à la face terreuse,

Au corps maigre, à l'œil de hibou,

Au bras de fer, à main nerveuse,

Qui sort d'on ne sait où,

Toujours avec esprit vous raille

Se riant de votre mépris.

C'est la canaille, et bien j'en suis.


C'est l'enfant que la destinée

Force à rejeter ses haillons

Quand sonne sa vingtième année,

Pour entrer dans vos bataillons.

Chair à canon de la bataille,

Toujours il succombe sans cris.

C'est la canaille, et bien j'en suis.


Ils fredonnaient la Marseillaise,

Nos pères les vieux vagabonds

Attaquant en 93 les bastilles

Dont les canons

Défendaient la muraille

Que d'étrangleurs ont dit depuis

C'est la canaille, et bien j'en suis.


Les uns travaillent par la plume,

Le front dégarni de cheveux

Les autres martèlent l'enclume

Et se saoulent pour être heureux,

Car la misère en sa tenaille

Fait saigner leurs flancs amaigris.

C'est la canaille, et bien j'en suis.


Enfin c'est une armée immense

Vêtue en haillons, en sabots

Mais qu'aujourd'hui la France

Appelle sous ses drapeaux

On les verra dans la mitraille,

Ils feront dire aux ennemis :

C'est la canaille, et bien j'en suis.