VUILLARD, Eric
14 Juillet
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Puis il passa à l’autre cadavre. Le coeur de Marie Bliard se mit à battre.
De sexe masculin, âgé d’environ quarante-cinq ans. Vêtu de bas de laine à côtes gris, d’une culotte blanche.
Et là, elle n’entendit plus rien, l’inventaire fut relégué dans le silence, en un bourdonnemnt dérisoire. C’était comme si toute sa vie passée était ânonnée, les vingt ans qu’elle avait vécus avec son mari, leur pauvre vie des Noyers, le boulot, le petit enfant mort en bas âge, les difficultés, les minuscules moments de bonheur, les promenades aux Porcherons, tout cela était à présent débité par petits lots, d’une voix monocorde, comme si on voulait ainsi le lui soustraire. Elle se rappelait les bas qu’elle avait tricotés, la culotte marchandée aux Misères, sur les quais, les souliers attachés comme on l’avait pu avec de vieux cordons, la veste en laine grise, le mouchoir de coton déniché à la fripe, et dans la poche, le passe-partout que François portait toujours. Et plus le clerc récitait son poème: gilet de toile blanche, chapeau à cocarde, chemise de grosse toile, et plus le corps réel de françois rousseau s’éloignait, se dissolvait dans autre chose. Ce n’était même plus un cadavre, même plus un nom, il devenait un objet, quelques lignes dans un registre, une chose qu’on voulait classer, répertorier, pour en finir.
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