LECONTE DE LISLE, Charles Marie
La mer est grise, calme, immense
La mer est grise, calme, immense,
L'œil vainement en fait le tour.
Rien ne finit, rien ne commence ;
Ce n'est ni la nuit ni le jour.
Point de lame à frange d'écume,
Point d'étoiles au fond de l'air.
Rien ne s'éteint rien ne s'allume ;
L'espace n'est ni noir ni clair.
Albatros, pétrels aux cris rudes,
Marsouins, souffleurs, tout a fui.
Sur les tranquilles solitudes
Plane un vague et profond ennui.
Nulle rumeur, pas une haleine,
La lourde coque au lent roulis
Hors de l'eau terne montre à peine
Le cuivre de ses flancs polis ;
Et, le long des cages à poules,
Les hommes de quart, sans rien voir,
Regardent, en songeant, les houles
Monter, descendre et se mouvoir.
Mais, vers l'Est, une lueur blanche,
Comme une cendre, un vol léger
Qui par nappes fines s'épanche,
De l'horizon semble émerger.
Elle nage, pleut, se disperse,
S'épanouit de toutes parts,
Tourbillonne, retombe et verse
Son diaphane et doux brouillard.
Un feu pâle luit et déferle,
La mer frémit, s'ouvre un moment,
Et, dans le ciel couleur de perle,
La lune monte lentement.
La rose
Je dirai la rose aux plis gracieux.
La rose est le souffle embaumé des Dieux,
Le plus cher souci des Muses divines.
Je dirai ta gloire, ô charme des yeux,
Ô fleur de Kypris, reine des collines!
Tu t’épanouis entre les beaux doigts
De l’Aube écartant les ombres moroses ;
L’air bleu devient rose, et roses les bois ;
La bouche et le sein des Nymphes sont roses!
Heureuse la vierge aux bras arrondis
Qui dans les halliers humides te cueille!
Heureux le front jeune où tu resplendis!
Heureuse la coupe où nage ta feuille!
Ruisselante encor du flot paternel,
Quand de la mer bleue Aphrodite éclose
Étincela nue aux clartés du ciel,
La Terre jalouse enfanta la rose ;
Et l’Olympe entier, d’amour transporté,
Salua la fleur avec la Beauté!
Fultus hyacinto *
C’est le roi de la plaine et des gras pâturages.
Plein d’une force lente, à travers les herbages,
Il guide en mugissant ses compagnons pourprés
Et s’enivre à loisir de la verdeur des prés.
Tel que Zeus, sur les mers portant la vierge Europe,
Une blancheur sans tache en entier l’enveloppe.
Sa corne est fine, aux bouts recourbés et polis ;
Ses fanons florissants abondent à grands plis ;
Une écume d’argent tombe à flots de sa bouche.
Et de longs poils épars couvrent son œil farouche.
Il paît jusques à l’heure où, du zénith brûlant,
Midi plane, immobile, et lui chauffe le flanc.
Alors des saules verts l’ombre discrète et douce
Lui fait un large lit d’hyacinthe et de mousse,
Et couché comme un dieu près du fleuve endormi,
Pacifique, il rumine et clôt l’œil à demi.
* taureau dont Pasiphaé est éprise
Le rêve du jaguar
Sous les noirs acajous, les lianes en fleur,
Dans l’air lourd, immobile et saturé de mouches,
Pendent, et, s’enroulant en bas parmi les souches,
Bercent le perroquet splendide et querelleur,
L’araignée au dos jaune et les singes farouches.
C’est là que le tueur de boeufs et de chevaux,
Le long des vieux troncs morts à l’écorce moussue,
Sinistre et fatigué, revient à pas égaux.
Il va, frottant ses reins musculeux qu’il bossue;
Et, du mufle béant par la soif alourdi,
Un souffle rauque et bref, d’une brusque secousse,
Trouble les grands lézards, chauds des feux de midi,
Dont la fuite étincelle à travers l’herbe rousse.
En un creux du bois sombre interdit au soleil Il s’affaisse,
allongé sur quelque roche plate ;
D’un large coup de langue il se lustre la patte;
Il cligne ses yeux d’or hébétés de sommeil;
Et, dans l’illusion de ses forces inertes,
Faisant mouvoir sa queue et frissonner ses flancs,
Il rêve qu’au milieu des plantations vertes,
Il enfonce d’un bond ses ongles ruisselants
Dans la chair des taureaux effarés et beuglants.
Le manchy*
Sous un nuage frais de claire mousseline,
Tous les dimanches au matin,
Tu venais à la ville en manchy de rotin,
Par les rampes de la colline.
La cloche de l’église alertement tintait
Le vent de mer berçait les cannes ;
Comme une grêle d’or, aux pointes des savanes,
Le feu du soleil crépitait.
Le bracelet aux poings, l’anneau sur la cheville,
Et le mouchoir jaune aux chignons,
Deux Telingas portaient, assidus compagnons,
Ton lit aux nattes de Manille.
Ployant leur jarret maigre et nerveux, et chantant,
Souples dans leurs tuniques blanches,
Le bambou sur l’épaule et les mains sur les hanches,
Ils allaient le long de l’Étang.
Le long de la chaussée et des varangues basses
Où les vieux créoles fumaient,
Par les groupes joyeux des Noirs, ils s’animaient
Au bruit des bobres Madécasses.
Dans l’air léger flottait l’odeur des tamarins ;
Sur les houles illuminées,
Au large, les oiseaux, en d’immenses traînées,
Plongeaient dans les brouillards marins
Et tandis que ton pied, sorti de la babouche,
Pendait, rose, au bord du manchy,
À l’ombre des Bois-Noirs touffus et du Letchi
Aux fruits moins pourprés que ta bouche ;
Tandis qu’un papillon, les deux ailes en fleur,
Teinté d’azur et d’écarlate,
Se posait par instants sur ta peau délicate
En y laissant de sa couleur ;
On voyait, au travers du rideau de batiste,
Tes boucles dorer l’oreiller,
Et, sous leurs cils mi-clos, feignant de sommeiller,
Tes beaux yeux de sombre améthyste.
Tu t’en venais ainsi, par ces matins si doux,
De la montagne à la grand’messe,
Dans ta grâce naïve et ta rose jeunesse,
Au pas rythmé de tes Hindous.
Maintenant, dans le sable aride de nos grèves,
Sous les chiendents, au bruit des mers,
Tu reposes parmi les morts qui me sont chers,
Ô charme de mes premiers rêves !
Manchy = Chaise à porteurs
Les roses d'Ispahan
Les roses d'Ispahan dans leur gaîne de mousse,
Les jasmins de Mossoul, les fleurs de l'oranger,
Ont un parfum moins frais, ont une odeur moins douce,
Ô blanche Léïlah! que ton souffle léger.
Ta lèvre est de corail et ton rire léger
Sonne mieux que l'eau vive et d'une voix plus douce.
Mieux que le vent joyeux qui berce l'oranger,
Mieux que l'oiseau qui chante au bord d'un nid de mousse.
Mais le subtile odeur des roses dans leur mousse,
La brise qui se joue autour de l'oranger
Et l'eau vive qui flue avec sa plainte douce
Ont un charme plus sûr que ton amour léger!
Ô Leïlah! depuis que de leur vol léger
Tous les baisers ont fui de ta lèvre si douce
Il n'est plus de parfum dans le pâle oranger,
Ni de céleste arome aux roses dans leur mousse.
L'oiseau, sur le duvet humide et sur la mousse,
Ne chante plus parmi la rose et l'oranger;
L'eau vive des jardins n'a plus de chanson douce,
L'aube ne dore plus le ciel pur et léger.
Oh! que ton jeune amour, ce papillon léger,
Revienne vers mon coeur d'une aile prompte et douce.
Et qu'il parfume encor [les fleurs]1 de l'oranger,
Les roses d'Ispahan dans leur gaîne de mousse.
Le sommeil du condor
Par-delà l'escalier des roides Cordillières,
Par-delà les brouillards hantés des aigles noirs,
Plus haut que les sommets creusés en entonnoirs
Où bout le flux sanglant des laves familières,
L'envergure pendante et rouge par endroits,
Le vaste Oiseau, tout plein d'une morne indolence,
Regarde l'Amérique et l'espace en silence,
Et le sombre soleil qui meurt dans ses yeux froids.
La nuit roule de l'est, où les pampas sauvages
Sous les monts étagés s'élargissent sans fin ;
Elle endort le Chili, les villes, les rivages,
Et la mer Pacifique, et l'horizon divin ;
Du continent muet elle s'est emparée :
Des sables aux coteaux, des gorges aux versants,
De cime en cime, elle enfle, en tourbillons croissants,
Le lourd débordement de sa haute marée.
Lui, comme un spectre, seul, au front du pic altier,
Baigné d'une lueur qui saigne sur la neige,
Il attend cette mer sinistre qui l'assiège :
Elle arrive, déferle, et le couvre en entier.
Dans l'abîme sans fond la Croix australe allume
Sur les côtes du ciel son phare constellé.
Il râle de plaisir, il agite sa plume,
Il érige son cou musculeux et pelé,
Il s'enlève en fouettant l'âpre neige des Andes,
Dans un cri rauque il monte où n'atteint pas le vent,
Et, loin du globe noir, loin de l'astre vivant,
Il dort dans l'air glacé, les ailes toutes grandes.
La panthère noire
Une rose lueur s'épand par les nuées ;
L'horizon se dentelle, à l'Est, d'un vif éclair ;
Et le collier nocturne, en perles dénouées,
S'égrène et tombe dans la mer.
Toute une part du ciel se vêt de molles flammes
Qu'il agrafe à son faîte étincelant et bleu.
Un pan traîne et rougit l'émeraude des lames
D'une pluie aux gouttes de feu.
Des bambous éveillés où le vent bat des ailes,
Des letchis au fruit pourpre et des cannelliers
Pétille la rosée en gerbes d'étincelles,
Montent des bruits frais, par milliers.
Et des monts et des bois, des fleurs, des hautes mousses,
Dans l'air tiède et subtil, brusquement dilaté,
S'épanouit un flot d'odeurs fortes et douces,
Plein de fièvre et de volupté.
Par les sentiers perdus au creux des forêts vierges
Où l'herbe épaisse fume au soleil du matin ;
Le long des cours d'eau vive encaissés dans leurs berges,
Sous de verts arceaux de rotin ;
La reine de Java, la noire chasseresse,
Avec l'aube, revient au gîte où ses petits
Parmi les os luisants miaulent de détresse,
Les uns sous les autres blottis.
Inquiète, les yeux aigus comme des flèches,
Elle ondule, épiant l'ombre des rameaux lourds.
Quelques taches de sang, éparses, toutes fraîches,
Mouillent sa robe de velours.
Elle traîne après elle un reste de sa chasse,
Un quartier du beau cerf qu'elle a mangé la nuit ;
Et sur la mousse en fleur une effroyable trace
Rouge, et chaude encore, la suit.
Autour, les papillons et les fauves abeilles
Effleurent à l'envi son dos souple du vol ;
Les feuillages joyeux, de leurs mille corbeilles ;
Sur ses pas parfument le sol.
Le python, du milieu d'un cactus écarlate,
Déroule son écaille, et, curieux témoin,
Par-dessus les buissons dressant sa tête plate,
La regarde passer de loin.
Sous la haute fougère elle glisse en silence,
Parmi les troncs moussus s'enfonce et disparaît.
Les bruits cessent, l'air brûle, et la lumière immense
Endort le ciel et la forêt.
Midi
Midi, Roi des étés, épandu sur la plaine,
Tombe en nappes d'argent des hauteurs du ciel bleu.
Tout se tait. L'air flamboie et brûle sans haleine ;
La Terre est assoupie en sa robe de feu.
L'étendue est immense, et les champs n'ont point d'ombre,
Et la source est tarie où buvaient les troupeaux ;
La lointaine forêt, dont la lisière est sombre,
Dort là-bas, immobile, en un pesant repos.
Seuls, les grands blés mûris, tels qu'une mer dorée,
Se déroulent au loin, dédaigneux du sommeil ;
Pacifiques enfants de la Terre sacrée,
Ils épuisent sans peur la coupe du Soleil.
Parfois, comme un soupir de leur âme brûlante,
Du sein des épis lourds qui murmurent entre eux,
Une ondulation majestueuse et lente
S'éveille, et va mourir à l'horizon poudreux.
Non loin, quelques boeufs blancs, couchés parmi les herbes,
Bavent avec lenteur sur leurs fanons épais,
Et suivent de leurs yeux languissants et superbes
Le songe intérieur qu'ils n'achèvent jamais.
Homme, si, le coeur plein de joie ou d'amertume,
Tu passais vers midi dans les champs radieux,
Fuis ! la Nature est vide et le Soleil consume :
Rien n'est vivant ici, rien n'est triste ou joyeux.
Mais si, désabusé des larmes et du rire,
Altéré de l'oubli de ce monde agité,
Tu veux, ne sachant plus pardonner ou maudire,
Goûter une suprême et morne volupté,
Viens ! Le Soleil te parle en paroles sublimes ;
Dans sa flamme implacable absorbe-toi sans fin ;
Et retourne à pas lents vers les cités infimes,
Le coeur trempé sept fois dans le Néant divin.
Annie
La lune n'était point ternie,
Le ciel était tout étoilé ;
Et moi, j'allai trouver Annie
Dans les sillons d'orge et de blé.
Oh ! les sillons d'orge et de blé !
Le coeur de ma chère maîtresse
Etait étrangement troublé.
Je baisai le bout de sa tresse,
Dans les sillons d'orge et de blé !
Oh ! les sillons d'orge et de blé !
Que sa chevelure était fine !
Qu'un baiser est vite envolé !
Je la pressai sur ma poitrine,
Dans les sillons d'orge et de blé.
Oh ! les sillons d'orge et de blé !
Notre ivresse était infinie,
Et nul de nous n'avait parlé...
Oh ! la douce nuit, chère Annie,
Dans les sillons d'orge et de blé !
Oh ! les sillons d'orge et de blé !
Aux Modernes
Vous vivez lâchement, sans rêve, sans dessein,
Plus vieux, plus décrépits que le terre inféconde,
Châtré dès le berceau par le siècle assassin
De toute passion vigoureuse et profonde.
Votre cervelle est vide autant que votre sein,
Et vous avez souillé ce misérable monde
D'un sang si corrompu, d'un souffle si malsain,
Que la mort germe seule en cette boue immonde.
Hommes, tueurs de Dieux, les temps ne sont pas loin
Où, sur un grand tas d'or vautrés dans quelque coin,
Ayant rongé le sol nourricier jusqu'aux roches,
Ne sachant faire rien ni des jours ni des nuits,
Noyés dans le néant des suprêmes ennuis,
Vous mourrez bêtement en emplissant vos poches.
La chute des étoiles
Tombez, ô perles dénouées,
Pâles étoiles, dans la mer.
Un brouillard de roses nuées
Émerge de l’horizon clair ;
À l’Orient plein d’étincelles
Le vent joyeux bat de ses ailes
L’onde que brode un vif éclair.
Tombez, ô perles immortelles,
Pâles étoiles, dans la mer.
Plongez sous les écumes fraîches
De l’Océan mystérieux.
La lumière crible de flèches
Le faîte des monts radieux,
Mille et mille cris, par fusées,
Sortent des bois lourds de rosées ;
Une musique vole aux cieux.
Plongez, de larmes arrosées,
Dans l’Océan mystérieux.
Fuyez, astres mélancoliques,
Ô Paradis lointains encor !
L’aurore aux lèvres métalliques
Rit dans le ciel et prend l’essor ;
Elle se vêt de molles flammes,
Et sur l’émeraude des lames
Fait pétiller des gouttes d’or.
Fuyez, mondes où vont les âmes,
Ô Paradis lointains encor !
Allez, étoiles, aux nuits douces,
Aux cieux muets de l’Occident.
Sur les feuillages et les mousses
Le soleil darde un oeil ardent ;
Les cerfs, par bonds, dans les vallées,
Se baignent aux sources troublées,
Le bruit des hommes va grondant.
Allez, ô blanches exilées,
Aux cieux muets de l’Occident.
Heureux qui vous suit, clartés mornes,
Ô lampes qui versez l’oubli !
Comme vous, dans l’ombre sans bornes,
Heureux qui roule enseveli !
Celui-là vers la paix s’élance :
Haine, amour, larmes, violence,
Ce qui fut l’homme est aboli.
Donnez-nous l’éternel silence,
Ô lampes qui versez l’oubli !
Klytie
Sentiers furtifs des bois, sources aux frais rivages,
Et vous, grottes de pampre où glisse un jour vermeil,
Platanes, qui voyez, sous vos épais feuillages,
Les vierges de l'Hybla céder au doux sommeil ;
Un Dieu ne m'endort plus dans vos calmes retraites,
Quand midi rayonnant brûle les lourds rameaux.
Ecoutez, ô forêts, mes tristesses secrètes !
Versez votre silence et l'oubli sur mes maux.
Mes jours ne coulent plus au gré des heures douces.
Moins clair était le flot qui baigne les halliers,
Dont l'écume d'argent, parmi les vertes mousses,
Abreuve les oiseaux et les cerfs familiers.
Et mes yeux sont en pleurs, et la Muse infidèle
A délaissé mon sein d'un autre amour empli.
Fuyez, jeunes chansons, fuyez à tire d'aile :
Pour la joie et pour vous mon coeur est plein d'oubli.
Parlez-moi de Klytie, ô vallée, ô colline !
Fontaine trop heureuse, aux reflets azurés,
N'as-tu pas sur tes bords, où le roseau s'incline,
De Klytie en chantant baisé les pieds sacrés ?
Des monts Siciliens c'est la blanche Immortelle !
Compagnons d'Érycine, ô cortège enchanté,
Désirs aux ailes d'or, emportez-moi vers elle :
Elle a surpris mon coeur par sa jeune beauté.
Korinthe et l'Ionie et la divine Athènes
Sculpteraient son image en un marbre éternel ;
La trirème sacrée inclinant ses antennes
L'eût nommée Aphrodite et l'eût placée au ciel.
Klytie a d'hyacinthe orné ses tempes roses,
Et sa robe est nouée à son genou charmant ;
Elle effleura en courant l'herbe molle et les roses ;
Et le cruel Eros se rit de mon tourment !
O Nymphes des forêts, ô filles de Kybèle,
Quel Dieu vous poursuivra désormais de ses voeux ?
O Déesses ! pleurez : plus que vous êtes est belle !
Sur son col, à flots d'or, coulent ses blonds cheveux.
Ses lèvres ont l'éclat des jeunes aubépines
Où chantent les oiseaux dans la rosée en pleurs ;
Ses beaux yeux sont tout pleins de ces clartés divines
Que l'urne du matin verse aux buissons en fleurs.
Le rire éblouissant rayonne sur sa joue,
Une forme parfaite arrondit ses bras nus,
Son épaule est de neige et l'aurore s'y joue ;
Des lys d'argent sont nés sous ses pas ingénus.
Elle est grande et semblable aux fières chasseresses
Qui passent dans les bois vers le déclin du jour ;
Et le vent bienheureux qui soulève ses tresses
S'y parfume aussitôt de jeunesse et d'amour.
Les pasteurs attentifs, au temps des gerbes mûres,
Au seul bruit de sa voix délaissent les moissons,
Car l'abeille Hybléenne a de moins frais murmures
Que sa lèvre au matin n'a de fraîches chansons.
Le lin chaste et flottant qui ceint son corps d'albâtre
Plus qu'un voile du temple est terrible à mes yeux :
Si j'en touche les plis mon coeur cesse de battre ;
J'oublie en la voyant la Patrie et les Dieux !
Eros, jeune Immortel, dont les flèches certaines
Font une plaie au coeur que nul ne peut fermer,
Incline au moins son front sur l'onde des fontaines ;
Oh ! dis-lui qu'elle est belle et qu'elle doit aimer !
Si rien ne peut fléchir cette vierge cruelle,
Ni la molle syrinx, ni les dons amoureux,
Ni mes longs pleurs versés durant les nuits pour elle,
Eros ! j'irai guérir sur des bords plus heureux.
Non ! je consumerai ma jeunesse à lui plaire,
Et, chérissant le joug où m'ont lié les Dieux,
J'irai bientôt l'attendre à l'ombre tutélaire
De tes feuillages noirs, Hadès mystérieux !
Sous les myrtes sacrés s'uniront nos mains vaines ;
Tu tomberas, Klytie, en pleurant sur mon coeur...
Mais la mort aura pris le pur sang de nos veines
Et des jeunes baisers la divine liqueur !