BARBUSSE, Henri
Le feu
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Puis nous nous arrêtons bientôt nous-mêmes. Nous avons trop présumé de nos forces. Nous ne pouvons pas encore nous en aller. Ce n’est pas encore fini. On s’écroule à nouveau dans une encoignure pétrie, avec le bruit d’un bloc de gadoue qu’on jette.
On ferme les yeux. De temps en temps, on les ouvre.
Des gens se dirigent en titubant vers nous. Ils se penchent sur nous, et parlent d’une voix basse et lassée.
L’un d’eux dit :
— Sie sind todt. Wir bleiben hier.
L’autre répond : Ia, comme un soupir.
Mais ils nous voient remuer. Alors, aussitôt, ils échouent en face de nous. L’homme à la voix sans accent s’adresse à nous :
— Nous levons les bras, dit-il.
Et ils ne bougent pas.
Puis ils s’affalent complètement – soulagés, et, comme si c’était la fin de leur tourment, l’un d’eux, qui a sur la face des dessins de boue comme un sauvage, esquisse un sourire.
— Reste là, lui dit Paradis sans remuer sa tête qui est appuyée en arrière sur un monticule. Tout à l’heure, tu viendras avec nous, si tu veux.
— Oui, dit l’Allemand. J’en ai assez.
On ne lui répond pas.
Il dit :
— Les autres aussi ?
— Oui, dit Paradis, qu’ils restent aussi s’ils veulent.
Ils sont quatre qui se sont étendus par terre.
L’un d’eux se met à râler. C’est comme un chant sanglotant qui s’élève de lui. Alors, les autres se dressent à demi, à genoux, autour de lui et roulent de gros yeux dans leurs figures bigarrées de saleté. Nous nous soulevons et nous regardons cette scène. Mais le râle s’éteint, et la gorge noirâtre qui remuait seule sur ce grand corps comme un petit oiseau, s’immobilise.
— Er ist todt, dit un des hommes.
Il commence à pleurer. Les autres se réinstallent pour dormir. Le pleureur s’endort en pleurant.
Quelques soldats sont venus, en faisant des faux pas, cloués par des arrêts soudains, comme des ivrognes, ou bien en glissant comme des vers, se réfugier jusqu’ici, parmi le creux où nous sommes déjà incrustés, et on s’endort pêle-mêle dans la fosse commune.
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