NOUVEAU, Germain


L'âme

Comme un exilé du vieux thème,

J'ai descendu ton escalier ;

Mais ce qu'a lié l'Amour même,

Le temps ne peut le délier.

Chaque soir quand ton corps se couche

Dans ton lit qui n'est plus à moi,

Tes lèvres sont loin de ma bouche ;

Cependant, je dors près de Toi.

Quand je sors de la vie humaine,

J'ai l'air d'être en réalité

Un monsieur seul qui se promène ;

Pourtant je marche à ton côté.

Ma vie à la tienne est tressée

Comme on tresse des fils soyeux,

Et je pense avec ta pensée,

Et je regarde avec tes yeux.

Quand je dis ou fais quelque chose,

Je te consulte, tout le temps ;

Car je sais, du moins, je suppose,

Que tu me vois, que tu m'entends.

Moi-même je vois tes yeux vastes,

J'entends ta lèvre au rire fin.

Et c'est parfois dans mes nuits chastes

Des conversations sans fin.

C'est une illusion sans doute,

Tout cela n'a jamais été ;

C'est cependant, Mignonne, écoute,

C'est cependant la vérité.

Du temps où nous étions ensemble,

N'ayant rien à nous refuser,

Docile à mon désir qui tremble,

Ne m'as-tu pas, dans un baiser,

Ne m'as-tu pas donné ton âme ?

Or le baiser s'est envolé,

Mais l'âme est toujours là, Madame ;

Soyez certaine que je l'ai.


Après-midi d’été

Dans ce bordel provincial plein de fraîcheur,

Attendant le sonneur, Martin, pauvre pêcheur,

Qui vient tirer son coup entre deux sons de cloche

Si son gland violet sur sa poche baloche,

Trois filles dorment. – Ah doux repos vaginal! –

Et leur rêve est bercé, par le chant virginal

Des Enfants de Marie, au jardin de la Cure:

Mais c’est le sacristain qui leur bat la mesure

(Car tout se mêle en songe) et le vit de lilas

Saccade en le rythmant l’Ave Maris stella.



A l'église

Elle était à genoux et montrait son derrière

Dans le recueillement profond de la prière.

Pour le mieux contempler j'approchais de son banc:

Sous la jupe levée il me sembla si blanc

Que dans le temple vide où nulle ombre importune

N'apparaissait au loin par le bleu clair de lune,

Sans troubler sa ferveur je me fis son amant.

Elle priait toujours je perçus vaguement

Qu'elle bénissait Dieu dans le doux crépuscule.

Et je n'ai pas trouvé cela si ridicule.


Sans amis, sans parents


Sans amis, sans parents, sans emploi, sans fortune,

Je n'ai que la prison pour y passer la nuit.

Je n'ai rien à manger que du gâteau mal cuit,

Et rien pour me vêtir que déjeuners de lune.


Personne je ne suis, personne ne me suit,

Que la grosse tsé-tsé, ma foi ! fort importune ;

Et si je veux chanter sur les bords de la Tune
Un ami vient me dire : Il ne faut pas de bruit !


Nous regardons vos mains qui sont pures et nettes,

Car on sait, troun de l'air ! que vous êtes honnêtes,

De peur que quelque don ne me vienne guérir.


Mais je ne suis icy pour y faire d'envie,

Mais bien pour y mourir, disons pour y pourrir ;

Et la mort que j'attends n'ôte rien que la vie.



Dernier madrigal

Quand je mourrai, ce soir peut-être,

Je n'ai pas de jour préféré,

Si je voulais, je suis le maître,

Mais... ce serait mal me connaître,

N'importe, enfin, quand je mourrai.


Mes chers amis, qu'on me promette

De laisser le bois... au lapin,

Et, s'il vous plaît, qu'on ne me mette

Pas, comme une simple allumette,

Dans une boîte de sapin ;


Ni, comme un hareng, dans sa tonne ;

Ne me couchez pas tout du long,

Pour le coup de fusil qui tonne,

Dans la bière qu'on capitonne

Sous sa couverture de plomb.


Car, je ne veux rien, je vous jure ;

Pas de cercueil ; quant au tombeau,

J'y ferais mauvaise figure,

Je suis peu fait pour la sculpture,

Je le refuse, fût-il beau.


Mon vœu jusque-là ne se hausse ;

Ça me laisserait des remords,

Je vous dis (ma voix n'est pas fausse) :

Je ne veux pas même la fosse,

Où sont les lions et les morts.


Je ne suis ni puissant ni riche,

Je ne suis rien que le toutou,

Que le toutou de ma Niniche ;

Je ne suis que le vieux caniche

De tous les gens de n'importe où.


Je ne veux pas que l'on m'enferre

Ni qu'on m'enmarbre, non, je veux

Tout simplement que l'on m'enterre,

En faisant un trou... dans ma Mère,

C'est le plus ardent de mes vœux.


Moi, l'enterrement qui m'enlève,

C'est un enterrement d'un sou,

Je trouve ça chic ! Oui, mon rêve,

C'est de pourrir, comme une fève ;

Et, maintenant, je vais dire où.


Eh ! pardieu ! c'est au cimetière

Près d'un ruisseau (prononcez l'Ar),

Du beau village de Pourrière

De qui j'implore une prière,

Oui, c'est bien à Pourrières, Var.


Croisez-moi les mains sous la tête,

Qu'on laisse mon œil gauche ouvert ;

Alors ma paix sera complète,

Vraiment je me fais une fête

D'être enfoui comme un pois vert.


Creusez-moi mon trou dans la terre,

Sous la bière, au fond du caveau,

Où tout à côté de son père,

Dort déjà ma petite mère,

Madame Augustine Nouveau.


Puis... comblez-moi de terre... fine,

Sur moi, replacez le cercueil ;

Que comme avant dorme Augustine !

Nous dormirons bien, j'imagine,

Fût-ce en ne dormant... que d'un œil.


Et... retournez-la sur le ventre,

Car, il ne faut oublier rien,

Pour qu'en son regard le mien entre,

Nous serons deux tigres dans l'antre

Mais deux tigres qui s'aiment bien.


Je serai donc avec les Femmes

Qui m'ont fait et qui m'ont reçu,

Bonnes et respectables Dames,

Dont l'une sans cœur et sans flammes

Pour le fruit qu'elles ont conçu.


Ah ! comme je vais bien m'étendre,

Avec ma mère sur mon nez.

Comme je vais pouvoir lui rendre

Les baisers qu'en mon âge tendre

Elle ne m'a jamais donnés.


Paix au caveau ! Murez la porte !

Je ressuscite, au dernier jour.

Entre mes bras je prends la Morte,

Je m'élève d'une aile forte,

Nous montons au ciel dans l'Amour.


Un point... important... qui m'importe,

Pour vous ça doit vous être égal,

Je ne veux pas que l'on m'emporte

Dans des habits d'aucune sorte,

Fût-ce un habit de carnaval.


Pas de suaire en toile bise...

Tiens ! c'est presque un vers de Gautier ;

Pas de linceul, pas de chemise ;

Puisqu'il faut que je vous le dise,

Nu, tout nu, mais nu tout entier.


Comme sans fourreau la rapière,

Comme sans gant du tout la main,

Nu comme un ver sous ma paupière,

Et qu'on ne grave sur leur pierre,

Qu'un nom, un mot, un seul, GERMAIN.


Fou de corps, fou d'esprit, fou d'âme,

De cœur, si l'on veut de cerveau,

J'ai fait mon testament, Madame ;

Qu'il reste entre vos mains de femme,

Dûment signé : GERMAIN NOUVEAU.


L’Amour de l’Amour


I


Aimez bien vos amours ; aimez l’amour qui rêve

Une rose à la lèvre et des fleurs dans les yeux ;

C’est lui que vous cherchez quand votre avril se lève,

Lui dont reste un parfum quand vos ans se font vieux.


Aimez l’amour qui joue au soleil des peintures,

Sous l’azur de la Grèce, autour de ses autels,

Et qui déroule au ciel la tresse et les ceintures,

Ou qui vide un carquois sur des coeurs immortels.


Aimez l’amour qui parle avec la lenteur basse

Des Ave Maria chuchotés sous l’arceau ;

C’est lui que vous priez quand votre tête est lasse,

Lui dont la voix vous rend le rythme du berceau.


Aimez l’amour que Dieu souffla sur notre fange,

Aimez l’amour aveugle, allumant son flambeau,

Aimez l’amour rêvé qui ressemble à notre ange,

Aimez l’amour promis aux cendres du tombeau !


Aimez l’antique amour du règne de Saturne,

Aimez le dieu charmant, aimez le dieu caché,

Qui suspendait, ainsi qu’un papillon nocturne,

Un baiser invisible aux lèvres de Psyché !


Car c’est lui dont la terre appelle encore la flamme,

Lui dont la caravane humaine allait rêvant,

Et qui, triste d’errer, cherchant toujours une âme,

Gémissait dans la lyre et pleurait dans le vent.


Il revient ; le voici : son aurore éternelle

A frémi comme un monde au ventre de la nuit,

C’est le commencement des rumeurs de son aile ;

Il veille sur le sage, et la vierge le suit.


Le songe que le jour dissipe au coeur des femmes,

C’est ce Dieu. Le soupir qui traverse les bois,

C’est ce Dieu. C’est ce Dieu qui tord les oriflammes

Sur les mâts des vaisseaux et des faîtes des toits.


Il palpite toujours sous les tentes de toile,

Au fond de tous les cris et de tous les secrets ;

C’est lui que les lions contemplent dans l’étoile ;

L’oiseau le chante au loup qui le hurle aux forêts.


La source le pleurait, car il sera la mousse,

Et l’arbre le nommait, car il sera le fruit,

Et l’aube l’attendait, lui, l’épouvante douce

Qui fera reculer toute ombre et toute nuit.


Le voici qui retourne à nous, son règne est proche,

Aimez l’amour, riez ! Aimez l’amour, chantez !

Et que l’écho des bois s’éveille dans la roche,

Amour dans les déserts, amour dans les cités !


Amour sur l’Océan, amour sur les collines !

Amour dans les grands lys qui montent des vallons !

Amour dans la parole et les brises câlines !

Amour dans la prière et sur les violons !


Amour dans tous les coeurs et sur toutes les lèvres !

Amour dans tous les bras, amour dans tous les doigts !

Amour dans tous les seins et dans toutes les fièvres !

Amour dans tous les yeux et dans toutes les voix !


Amour dans chaque ville : ouvrez-vous, citadelles !

Amour dans les chantiers : travailleurs, à genoux !

Amour dans les couvents : anges, battez des ailes !

Amour dans les prisons : murs noirs, écroulez-vous !


II.

Mais adorez l’Amour terrible qui demeure

Dans l’éblouissement des futures Sions,

Et dont la plaie, ouverte encor, saigne à toute heure

Sur la croix, dont les bras s’ouvrent aux nations.