GUILLERAGUES, Gabriel de



Lettres portugaises

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Votre lieutenant vient de me dire qu'une tempête vous a obligé de relâcher au royaume d'Algarve: je crains que vous n'ayez beaucoup souffert sur la mer, et cette appréhension m'a tellement occupée, que je n'ai plus pensé à tous mes maux; êtes-vous bien persuadé que votre lieutenant prenne plus de part que moi à tout ce qui vous arrive? Pourquoi en est-il mieux informé, et enfin pourquoi ne m'avez-vous point écrit? Je suis bien malheureuse, si vous n'en avez trouvé aucune occasion depuis votre départ, et je la suis bien davantage, si vous en avez trouvé sans m'écrire; votre injustice et votre ingratitude sont extrêmes: mais je serais au désespoir, si elles vous attiraient quelque malheur, et j'aime beaucoup mieux qu'elles demeurent sans punition, que si j'en étais vengée.

Je résiste à toutes les apparences, qui me devraient persuader que vous ne m'aimez guère, et je sens bien plus de disposition à m'abandonner aveuglément à ma passion, qu'aux raisons que vous me donnez de me plaindre de votre peu de soin. Que vous m'auriez épargné d'inquiétudes, si votre procédé eût été aussi languissant les premiers jours que je vous vis, qu'il m'a paru depuis quelque temps! mais qui n'aurait été abusée, comme moi, par tant d'empressements, et à qui n'eussent - ils paru sincères? Qu'on a de peine à se résoudre à soupçonner longtemps la bonne foi de ceux qu'on aime! Je vois bien que la moindre excuse vous suffit, et sans que vous preniez le soin de m'en faire, l'amour que j'ai pour vous vous sert si fidèlement, que je ne puis consentir à vous trouver coupable que pour jouir du sensible plaisir de vous justifier moi-même. Vous m'avez consommée par vos assiduités, vous m'avez enflammée par vos transports, vous m'avez charmée par vos complaisances, vous m'avez assurée par vos serments, mon inclination violente m'a séduite, et les suites de ces commencements si agréables et si heureux ne sont que des larmes, que des soupirs, et qu'une mort funeste, sans que je puisse y porter aucun remède.

Il est vrai que j'ai eu des plaisirs bien surprenants en vous aimant: mais ils me coûtent d'étranges douleurs, et tous les mouvements que vous me causez sont extrêmes. Si j'avais résisté avec opiniâtreté à votre amour, si je vous avais donné quelque sujet de chagrin et de jalousie pour vous enflammer davantage, si vous aviez remarqué quelque ménagement artificieux dans ma conduite, si j'avais enfin voulu opposer ma raison à l'inclination naturelle que j'ai pour vous, dont vous me fîtes bientôt apercevoir (quoique mes efforts eussent été sans doute inutiles), vous pourriez me punir sévèrement et vous servir de votre pouvoir: mais vous me parûtes aimable, avant que vous m'eussiez dit que vous m'aimiez, vous me témoignâtes une grande passion, j'en fus ravie, et je m'abandonnai à vous aimer éperdument.

Vous n'étiez point aveuglé, comme moi, pourquoi avez-vous donc souffert que je devinsse en l'état où je me trouve? qu'est - ce que vous vouliez faire de tous mes emportements, qui ne pouvaient vous être que très importuns? Vous saviez bien que vous ne seriez pas toujours en Portugal, et pourquoi m'y avez-vous voulu choisir pour me rendre si malheureuse? Vous eussiez trouvé sans doute en ce pays quelque femme qui eût été plus belle, avec laquelle vous eussiez eu autant de plaisirs, puisque vous n'en cherchiez que de grossiers, qui vous eût fidèlement aimé aussi longtemps qu'elle vous eût vu, que le temps eût pu consoler de votre absence, et que vous auriez pu quitter sans perfidie et sans cruauté: ce procédé est bien plus d'un tyran, attaché à persécuter, que d'un amant, qui ne doit penser qu'à plaire.

Hélas! Pourquoi exercez - vous tant de rigueurs sur un coeur qui est à vous? Je vois bien que vous êtes aussi facile à vous laisser persuader contre moi, que je l'ai été à me laisser persuader en votre faveur; j'aurais résisté, sans avoir besoin de tout mon amour, et sans m'apercevoir que j'eusse rien fait d'extraordinaire, à de plus grandes raisons que ne peuvent être celles qui vous ont obligé à me quitter: elles m'eussent paru bien faibles, et il n'y en a point qui eussent jamais pu m'arracher d'auprès de vous; mais vous avez voulu profiter des prétextes que vous avez trouvés de retourner en France; un vaisseau partait, que ne le laissiez - vous partir? Votre famille vous avait écrit, ne savez-vous pas toutes les persécutions que j'ai souffertes de la mienne? Votre honneur vous engageait à m'abandonner, ai-je pris quelque soin du mien? Vous étiez obligé d'aller servir votre roi, si tout ce qu'on dit de lui est vrai, il n'a aucun besoin de votre secours, et il vous aurait excusé.

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