ROUSSEAU, Jean-Baptiste
Pour une personne convalescente
J'ai vu mes tristes journées
Décliner vers leur penchant;
Au midi de mes années
Je touchais à mon couchant.
La mort, déployant ses ailes,
Couvrait d'ombres éternelles
La clarté dont je jouis;
Et dans cette nuit funeste,
Je cherchais en vain le reste
De mes jours évanouis.
Grand Dieu, votre main réclame
Les dons que j'en ai reçus;
Elle vient couper la trame
Des jours qu'elle m'a tissus.
Mon dernier soleil se lève,
Et votre souffle m'enlève
De la terre des vivants,
Comme la feuille séchée
Qui, de sa tige arrachée,
Devient le jouet des vents...
Ainsi de cris et d'alarmes
Mon mal semblait se nourrir;
Et mes yeux noyés de larmes
Étaient lassés de s'ouvrir.
Je disais à la nuit sombre :
O nuit, tu vas dans ton ombre
M'ensevelir pour toujours!
Je redisais à l'aurore :
Le jour que tu fais éclore
Est le dernier de mes jours !
EPIGRAMMES
Frère Conrard, Hermite plein de suc,
Trouvant au lit une Dame discrette.
Lui fit tourner l'anagramme de Luc,
Et de droit fil s'ouvrit la voie étroite.
Que faites-vous, s'écria la levrette ?
Ce n'est pas là, c'est plus bas, vous dit-on.
Laissez, laissez, dit l'humble Anachorette,
Ceci pour moi n'est encor que trop bon.
Ce monde-ci n’est qu’une oeuvre comique
Ce monde-ci n’est qu’une œuvre comique
Où chacun fait ses rôles différents.
Là, sur la scène, en habit dramatique,
Brillent prélats, ministres, conquérants.
Pour nous, vil peuple, assis aux derniers rangs,
Troupe futile et des grands rebutée,
Par nous d’en bas la pièce est écoutée,
Mais nous payons, utiles spectateurs ;
Et, quand la farce est mal représentée,
Pour notre argent nous sifflons les acteurs.