MONNIER, Henry


Grandeur et décadence de M. Joseph Prudhomme
…..
PRUDHOMME.

Effacez! (Dictant.) « Les hommes de bonne foi...

DUCREUX.

Ça fait deux fois les hommes.

PRUDHOMME.

Effacez-les plus haut...

DUCREUX.

J'efface.

PRUDHOMME.

« Comprendront qu'il peut être utile de choisir un homme. .•

DUCREUX.

Encore un homme!

PRUDHOMME.

Nous ôtons les autres.

DUCREUX.

D'autant plus que c'est là ce que vous voulez : ôter les autres, pour vous mettre à leur place.

PRUDHOMME.

Dans l'intérêt de mon pays, monsieur.

DUCREUX.

Toujours.

Prudhomme, dictant. « Un homme qui le premier a souscrit pour la recherche des sables aurifères de la butte Montmartre. »

DUCREUX.

Très-bien.

PRUDHOMME.

Non. Ce serait trop me désigner. Effacez.

DUCREUX.

J'efface.

PRUDHOMME.

Comment finirai-je?

Ducreux, à part . Comme tu voudras ; moi je conclus. (Il plie et met en poche son article qu'il a écrit dans les intervalles de la dictée.)

PRUDHOMME.

Ah! m'y voilà. (Dictant.) « Électeurs! Suivez nos conseils ou la France périt. » (Se récriant.) »oh! Une plume française ne peut écrire ce mot. — Effacez.

DUCREUX.

J'efface.

PRUDHOMME.

Maintenant, relisez.

DUCREUX.

Il n'y a plus rien.

PRUDHOMME.

Comment?

DUCREUX.

Vous m'avez fait tout effacer. (Il montre le papier où il n'y a plus que des ratures.)

PRUDHOMME.

C'est là mon article?

Ducreux, se levant. Il est un peu court. Mais je l'arrangerai.

PRUDHOMME.

Ce seront toujours mes idées, au moins?

DUCREUX.

Soyez tranquille. (Il froisse le papier et le met dans sa poche.) Vous direz au gérant de votre feuille que vous m'avez chargé de lui remettre votre article. J'entends madame Prudhomme, je me sauve.

PRUDHOMME.

Moi, dans mon cabinet. Je n'ai pas de temps à perdre. ( sort, emportant tous ses papiers qu'il tient à deux bras serrés contre sa poitrine.)
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