PICARD, Hélène


Pénétration

J’aurai goûté vos yeux, votre front, votre main

Plus que je n’ai goûté l’eau limpide et le pain,

Votre bouche m’aura pour toujours abreuvée,

Votre âme je l’aurai tout entière rêvée,

Je vous ai convoité comme on convoite l’or,

Je vous ai possédé comme on étreint la mort,

Je vous ai parcouru comme une route neuve,

Vous avez ondoyé dans mes bras comme un fleuve,

J’ai chargé votre front de toute la beauté,

Je n’ai plus su qu’en vous recueillir la clarté.

Toutes mes nuits n’étaient faites que de votre ombre,

Et vous m’avez semblé sans limite et sans nombre,

Et vous m’avez paru grand de tout l’univers.

En moi vous affluiez avec le bruit des mers,

Avec les cris humains et le souffle du rêve,

Vous étiez doux en moi de même qu’une grève,

Sonore comme un bois quand les vents sont épars,

Vous avez à jamais habité mes regards,

Vous m’avez faite triste et splendide sans trêve

Comme, sur une tour, une reine qui rêve…

Et quand mes pleurs la nuit, étaient si soucieux,

Je vous sentais couler lentement de mes yeux.

J’aurai bu votre vie à la source d’eau vive,

Vous fûtes l’éternel dans l’heure fugitive,

Je vous dois l’infini, le songe, la douleur,

Et vous avez changé le rythme de mon coeur.

Je vous dois la vertu, la colère sacrée,

Ce livre tout ouvert par sa porte dorée,

Et cet ange surgi de mon âme et du soir,

Plus grand que le génie, encor: le désespoir…

Je vous ai fait ma couche et ma table servie,

En tous lieux, je vous ai, dans mon ombre, emporté,

Vous fûtes ma maison et je vous ai planté,


Hymne au Bien-Aimé


O jeune corps de joie où la splendeur circule,

Je te glorifierai dans la vague du blé,

Dans les grans horizons, lorsque le crépuscule

Ouvre une route bleue au silence étoilé.


O jeune fleur de vie, ô chair pure et sacrée,

O corps du bien-aimé, je te louerai le jour,

Lorsque la terre boit la lumière dorée,

Quand le soleil est beau comme un rire d'amour.


Je te retrouverai dans les vignes ardentes,

Dans la mûre si lourde aux doigts de la chaleur,

Dans le parfum du foin et des roses brûlantes,

Et dans le tiède sol et dans les fruits en fleur.


Je te désirerai dans les plantes de l'ombre,

Je te savourerai dans le pain du matin,

Je boirai ta douceur au coeur de la nuit sombre,

Et, dans le fleuve beau, je verrai ton destin.


Je baiserai le chêne ou tes dieux te saluent,

L'herbe de la vallée où tu dors en riant,

Le lin, l'outil, le blé que tes mains distribuent,

Belle, je chanterai pour toi vers l'Orient.


Je te respirerai dans les vents de l'automne,

Dans les vents où tournoient les fous insectes d'or,

Ivres, dans le verger qui s'éffeuille et rayonne,

D'avoir goûté les fruits et pressenti la mort.


O bien-aimé, fraîcheur, parfum de la colline

O clarté de mes yeux, ô rythme de mon coeur,

Je mouillerai ta chair d'une larme divine

Et je m'effeuillerai sur toi comme une fleur.


Je t'apprendrai les mots dont s'alimente l'onde,

Dont s'avive l'azur, dont se dore l'été;

Pour toi, je lèverai mes deux bras sur le monde,

Et mes gestes, pour toi, feront de la beauté.


La source des forêts dira notre jeunesse,

Et ma lèvre, sans fin, dans la tienne mourra;

La lune règnera, haute, sur notre ivresse,

Et l'urne de ma vie à tes pieds coulera...