AUBANEL, Théodore
Chambrette, chambrette
Ah ! voilà pourtant la chambrette
où vivait la jeune fille !
mais, maintenant, comment la retrouver,
dans les lieux qu'elle a tant hantés ?
O mes yeux, mes grands yeux buveurs,
dans son miroir regardez bien :
miroir, miroir ! montre-la-moi,
toi qui l'as vue si souvent...
Le Ventoux
Ventoux effrayant, nid d'aigles bruns et d'aigles blancs,
ton front nu, au midi, est blanc sous la neige.
Au nord, la forêt te fait une noire chevelure !
les loups hantent tes sentiers où l'homme s'essouffle...
La chanson des Félibres
Sous le grand ciel blanc,
le flot sombre
reflète, en roulant,
la lune joyeuse !
du gothique Avignon
palais et tourelles
font des dentelles
dans les étoiles...
Avignon, grillé
de rayons,
tout de même quelquefois,
le jour, sommeille !
mais, s'il assemble au soleil
ses gais felibres,
vite il devient des
cigales la capitale.
Les forgerons
L'incendie s'allume au couchant.
D'une bataille de démons
on dirait parfois le choc orageux ;
on dirait, dans les nuages en lambeaux,
que des maréchaux fantastiques
frappent sur le soleil rouge...
Les forgerons deviennent noirs,
le marteau fatigue les bras,
la fumée enveloppe la flamme ;
et le soleil en courroux,
de l'horrible enclume renversée,
se jette dans la mer qui hurle.
La Vénus d’Arles
Ta bèuta que clarejo en touto la Prouvènço, Fai bello nòsti fiho e nosti drole san ! Souto aquelo car bruno, o Venus ! i'a toun sang, Sèmpre viéu, sèmpre caud. E nosti chato alerto, Vaqui perqué s'envan la peitrino duberto ! E nosti gai jouvènt, vaqui perqué soun fort I lucho de l'amour, di brau e de la mort !... - E vaqui perqué t'ame, - e ta bèuta m'engano, - E perqué iéu crestian, te cante, o grand pagano !.
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ta beauté qui rayonne sur toute la Provence fait belles nos filles et sains nos garçons ! sous cette chair brune, ô Vénus ! il y a ton sang, toujours vif toujours chaud. Et nos jeunes filles alertes, voilà pourquoi elles s'en vont la poitrine ouverte et nos gais jeunes hommes, voilà pourquoi ils sont forts aux luttes des taureaux, de l'amour, de la mort. Et voilà pourquoi je t'aime, - et ta beauté m'ensorcelle, et pourquoi, moi chrétien, je te chante, ô grande païenne !... |
Lis Estello (Les étoiles)
Derrière la mer et le montagnes,
Quand s’est éteint le soleil,
Sur le monde, ombre et taches
Viennent vite, viennent vite.
Sans amour la vie est cruelle,
La vie est une longue nuit :
Heureux celui qui a pour étoiles,
Deux beaux yeux, deux beaux yeux.
Comme une trêve solitaire,
Je restais caché dans mon deuil.
Mon âme en suaire avait froid,
Avait peur, avait peur.
Depuis que dans ma douleur farouche,
Si douce tu m’as offert la main,
Ô jeune fille, mon âme attend,
En t’aimant, en t’aimant.
Ma pauvre âme, je la croyais morte,
Mais toi, avec ton sourire pur,
Amie, tu m’as ouvert la port,
Du bonheur, du bonheur.
Sans amour la vie est cruelle,
La vie est un longue nuit :
Heureux celui qui a pour étoiles,
Tes beaux yeux, tes beaux yeux.