DAUDET, Alphonse
Le Petit Chose
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Ce qui me frappa d’abord, à mon arrivée au collège, c’est que j’étais le seul avec une blouse. À Lyon, les fils de riches ne portent pas de blouses ; il n’y a que les enfants de la rue, les gones comme on dit. Moi, j’en avais une, une petite blouse à carreaux qui datait de la fabrique ; j'avais une blouse, j’avais l’air d’un gone. Quand j’entrai dans la classe, les élèves ricanèrent. On disait « Tiens ! il a une blouse ! » Le professeur fit la grimace et tout de suite me prit en aversion. Depuis lors, quand il me parla, ce fut toujours du bout des lèvres, d’un air méprisant. Jamais il ne m’appela par mon nom ; il disait toujours « Hé ! vous, là-bas, le petit Chose ! » Je lui avais dit pourtant plus de vingt fois que je m’appelais Daniel Ey-sset-te... À la fin, mes camarades me surnommèrent « le petit Chose », et le surnom me resta.
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Un soir, au moment de se mettre à table, on s'aperçoit qu'il n'y a plus une goutte d'eau dans la maison.
- Si vous voulez, j'irai en chercher, dit ce bon enfant de Jacques.
Et le voilà qui prend la cruche, une grosse cruche de grès.
M. Eyssette hausse les épaules :
- Si c'est Jacques qui y va, dit-il, la cruche est cassée, c'est sûr.
- Tu entends, Jacques, - c'est Mme Eyssette qui parle avec sa voix tranquille - tu entends, ne la casse pas, fais bien attention. ”
M. Eyssette reprend :
- Oh ! tu as beau lui dire de ne pas la casser, il la cassera tout de même.
Ici, la voix éplorée de Jacques :
- Mais enfin, pourquoi voulez-vous que je la casse ?
- Je ne veux pas que tu la casses, je te dis que tu la casseras, répond M. Eyssette, et d'un ton qui n'admet pas de réplique.
Jacques ne réplique pas ; il prend la cruche d'une main fiévreuse et sort brusquement avec l'air de dire :
- Ah ! je la casserai ? Eh bien, nous allons voir.
Cinq minutes, dix minutes se passent; Jacques ne revient pas. Mme Eyssette commence à se tourmenter :
- Pourvu qu'il ne lui soit rien arrivé !
- Parbleu ! que veux-tu qu'il lui soit arrivé ? dit M. Eyssette d'un ton bourru. Il a cassé la cruche et n'ose plus rentrer.
Mais tout en disant cela - avec son air bourru, c'était le meilleur homme du monde -, il se lève et va ouvrir la porte pour voir un peu ce que Jacques était devenu. Il n'a pas loin à aller ; Jacques est debout sur le palier, devant la porte, les mains vides, silencieux, pétrifié. En voyant M. Eyssette, il pâlit, et d'une voix navrante et faible, oh ! si faible : “ Je l'ai cassée ”, dit-il... Il l'avait cassée !
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Lettres de mon moulin
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Si vous avez jamais passé la nuit à la belle étoile, vous savez qu'à l'heure où nous dormons, un monde mystérieux s'éveille dans la solitude et le silence. Alors les sources chantent bien plus clair, les étangs allument des petites flammes. Tous les esprits de la montagne vont et viennent librement ; et il y a dans l'air des frôlements, des bruits imperceptibles, comme si l'on entendait les branches grandir, l'herbe pousser. Le jour, c'est la vie des êtres ; mais la nuit, c'est la vie des choses. Quand on n'en a pas l'habitude, ça fait peur...
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