QUENEAU, Raymond


Les Ziaux


les eaux bruns, les eaux noirs, les eaux de merveille les eaux de mer, d'océan, les eaux d'étincelles nuitent le jour, jurent la nuit chants de dimanche à samedi


les yeux vertes, les yeux bleues, les yeux de succelle les yeux de passante au cours de la vie les yeux noires, yeux d'estanchelle silencent les mots, ouatent le bruit


eau de ces yeux penché sur tout miroir


gouttes secrets au bord des veilles


tout miroir, toute veille en ces ziaux bleues ou vertes


les ziaux bruns, les ziaux noirs, les ziaux de merveille


L’écolier


J’écrirai le jeudi j’écrirai le dimanche

quand je n’irai pas à l’école


j’écrirai des nouvelles j’écrirai des romans

et même des paraboles


je parlerai de mon village je parlerai de mes parents

de mes aïeux de mes aïeules


je décrirai les prés je décrirai les champs

les broutilles et les bestioles

puis je voyagerai j’irai jusqu’en Iran

au Tibet ou bien au Népal

et ce qui est beaucoup plus intéressant

du côté de Sirius ou d’Algol

où tout me paraîtra tellement étonnant

que revenu dans mon école

je mettrai l’orthographe mélancoliquement


Pour un art poétique


Prenez un mot prenez en deux

Faites les cuir’ comme des oeufs

Prenez un petit bout de sens

Puis un grand morceau d’innocence

Faites chauffer à petit feu

Au petit feu de la technique

Versez la sauce énigmatique

Saupoudrez de quelques étoiles

Poivrez et mettez les voiles

Où voulez-vous donc en venir ?



Si tu t'imagines


Si tu t'imagines

si tu t'imagines

fillette fillette

si tu t'imagines

xa va xa va xa

va durer toujours

la saison des za

la saison des za

saison des amours

ce que tu te goures

fillette fillette

ce que tu te goures

 
Si tu crois petite

si tu crois ha ha

qu'on teint de rose

ta taille de guêpes

tes mignons biceps

tes ongles d'émail

ta cuisse de nymphe 

et ton pied léger

si tu crois petite

xa va xa va xa 

va durer toujours

ce que tu te goures

fillette fillette

ce que tu te goures

les beaux jours s'en vont

les beaux jours de fête

soleils et planètes

tournent tous en rond

mais toi ma petite

tu marches tout droit

vers que tu vois pas

très sournois s'approchent

la ride véloce

la pesante graisse

le menton triplé

le muscle avachi

allons cueille cueille

les roses les roses

roses de la vie

et que leurs pétales

soient la mer étale

de tous les bonheurs

allons cueille cueille

si tu le fais pas

ce que tu te goures

fillette fillette

ce que tu te goures