JOUVE, Pierre Jean
Phénix
Comme les vraies saisons sont lentes et comme les montagnes sont arides
Comme les hommes sont présents sans sentir le flot de leur coeur
Comme les vagues de la mer meurent les unes dans les autres pour produire une lueur à la crête des plus avides,
Le poète écoute le Temps qui inscrit très près de son coeur les traits d’une plume de fer.
Ce n’est point votre ouragan, mortels enrichis de moteurs,
Ce n’est pas votre angoisse vide à la recherche du soleil différent d’une autre terre
Ni vos discours sans verbe ni vos moribondes chaleurs,
Qu’il sent dans le mouvement des nuits raccourcissant son erre.
C’est ce qui le porte vivant à traverser au dernier jour une eau calme souterraine
Et ce qui fleurira les arbres et dès après son départ poussera plus follement la harpe énorme des vents
Ce qui soulèvera d’amour la vaste poitrine du sol quand l’étoile bleue de sa mort apparaîtra sur la plaine,
Tout ce qui toujours pensera, miroir concave du firmament.
Adieu
Noir. Noir. Sentiment noir.
Frappe image noire un coup retentissant sur le gong du lointain
Pour l'entrée à l'épaisseur bien obscure de ce coeur
L'épaisse cérémonie à la longue plaine noire
De l'intérieur et de l'adieu, de minuit et du départ !
Frappe, comme un gong noir à la porte d'enfer !
Un aigre vent soulève les roseaux des sables
Confond les monts
Sous les nuées de mauvais temps de la mémoire
Fait retomber la vague en éclatante blancheur dans le néant.
C'est la journée épaisse intime où Elle part
Jetant un dernier oeil aux prouesses d'amant,
Où il quitte, quelques maigres longueurs encor de faible sable
Et poussant la vieillesse de l'âge un aigre vent.
Noir, noir, sentiment noir, oh frappe clair et noir
Pour l'épaisse cérémonie à la terre sans lendemain
Portant comme un socle divin le monument de leur départ.
II
De longues lignes de tristesse et de brouillard
Ouvrent de tous côtés cette plaine sans fin
Où les monts s'évaporent puis reprennent
A des hauteurs que ne touche plus le regard:
Là où nous sommes arrivés, donne ta main,
Puis aux saules plus écroulés que nos silences
A l'herbe de l'été que détruisent tes pieds
Dis un mot sans raison profère un vrai poème,
Laisse que je caresse enfin tes cheveux morts
Car la mort vient roulant pour nous ses tambours loin,
Laisse que je retouche entièrement ton corps
Dans son vallon ou plage extrême fleur du temps
Que je plie un genou devant ta brune erreur
Ta beauté ton parfum défunt près du départ
Adorant ton défaut ton vice et ton caprice
Adorant ton abîme noir sans firmament.
Laisse ô déjà perdue, et que je te bénisse
Pour tous les maux par où tu m'as appris l'amour
Par tous les mots en quoi tu m'as appris le chant.
III
Adieu. La nuit déjà nous fait méconnaissables
Ton visage est fondu dans l'absence. Oh adieu
Détache ta main de ma main et tes doigts de mes doigts arrache
Laissant tomber entre nos espaces le temps
Solitaire étranger le temps rempli d'espaces ;
Et quand l'obscur aura totalement rongé
La forme de ton ombre ainsi qu'une Eurydice
Retourne-toi afin de consommer ta mort
Pour me communiquer l'adieu. Adieu ma grâce
Au point qu'il n'est espoir de relier nos sorts
Si même s'ouvre en nous le temple de la grâce.