MÉRAT, Albert


J’ai fait ce rêve bien souvent

J'ai fait ce rêve bien souvent,

Qui mettait mon cœur en détresse :

L'amour, soufflant comme le vent,

Avait emporté ma maîtresse.


Mais au matin quel beau réveil !

A mes yeux et dans mes oreilles,

C'étaient ses yeux comme un soleil

Et des paroles sans pareilles ;


Maintenant presque chaque nuit

Je fais encor ce mauvais rêve :

C'est le regret qui le conduit

Et l'amertume qui l'achève.


Les parfums

La moisson sent le pain : la terre boulangère

Se trahit dans ses lourds épis aux grains roussis,

Et caresse au parfum de ses chaumes durcis

L'odorat du poète et de la ménagère.


La tête dans l'air bleu, les pieds dans la fougère,

Les bois sont embaumés d'un arôme indécis.

La mer souffle, en mourant sur les rochers noircis,

Son haleine salubre et sa vapeur légère.


L'Océan, la moisson jaune, les arbres verts,

Voilà les bons et grands parfums de l'univers ;

Et l'on doute lequel est le parfum suprême.


J'oubliais les cheveux, tissu fragile et blond,

Qu'on déroule et qu'on fait ruisseler tout du long,

Tout du long des reins blancs de la femme qu'on aime.



VI - Etoiles


SES yeux, tout un printemps, éclairèrent ma vie

Je marchais ébloui, la tenant par la main.

Elle était le rayon, l’étoile du chemin,

Et tant qu’elle a brillé sur moi, je l’ai suivie.


Ainsi mes jours passaient sans but et sans envie

Puis vint l’été ; ce fut un triste lendemain.

Je ne vis plus l’étoile au doux regard humain,

Et la sérénité du ciel me fut ravie.


Et souvent, dans l’azur profond des soirs d’hiver,

Lorsque la lune au front du paysage clair

Pose comme un décor sa lueur métallique,


Seul, dans l’apaisement des soirs silencieux

Suivant l’éclosion lente et mélancolique

Des étoiles, j’ai pu reconnaître ses yeux.