VILDRAC, Charles


Montblainville

Maison, maison de Montblainville,

Abri d’une nuit frissonnante

Entre les coups de feu du soir et ceux de l’aube !


Tes habitants étaient partis

Mais la vie en toi persistait

Comme la forme et la chaleur

D’un corps au creux d’un lit.


Contre ton âtre ranimé

Je suis resté blotti des heures

Pendant que les autres dormaient.


Je regardais, je regardais

Chaque objet fidèle à sa place ;

J’imaginais toute une vie

Oii je m’étais servi de lui ;


Et j’étreignais de tout mon coeur,

Humble maison de paysan,

Ton vieux bonheur intact encore.


J’avais toujours connu

Tes assiettes sur le mur,

Ta lampe et son abat-jour,

Ton seau de bois et ta huche ;


Et j’écoutais sans m’en lasser le balancier

De la haute horloge sonore

Qui m’assurait avec lenteur

De l’égalité de la nuit.


Maison, maison de Montblainville,

Le lendemain tu flambais toute

Et l’herbe, aujourd’hui, à ta place

Doit recouvrir un éboulis de pierres.


Je pense à ceux qui t’ont perdue

Ceux dont je fus le dernier hôte

Et qu’un autre toit que leur toit

Abrite aujourd’hui quelque part.


Ils ne me connaîtront jamais ;

Et pourtant nous sommes peut-être,

Eux et moi, les seuls au monde

En qui survive ô maison morte

La douce image de ton coeur.



Si l'on gardait...


Si l’on gardait, depuis des temps, des temps,

Si l’on gardait, souples et odorants,

Tous les cheveux des femmes qui sont mortes,

Tous les cheveux blonds, tous les cheveux blancs,

Crinières de nuit, toisons de safran,

Et les cheveux couleur de feuilles mortes,

Si on les gardait depuis bien longtemps,

Noués bout à bout pour tisser les voiles,

Qui vont sur la mer,

Il y aurait tant et tant sur la mer,

Tant de cheveux roux, tant de cheveux clairs,

Et tant de cheveux de nuit sans étoiles,

Il y aurait tant de soyeuses voiles

Luisant au soleil, bombant sous le vent,

Que les oiseaux gris qui vont sur la mer,

Que ces grands oiseaux sentiraient souvent

Se poser sur eux,

Les baisers partis de tous ces cheveux,

Et puis en allés parmi le grand vent…

Si l’on gardait depuis des temps, des temps,

Si l’on gardait, souples et odorants,

Tous les cheveux des femmes qui sont mortes,

Tous les cheveux blonds, tous les cheveux blancs,

Crinières de nuit, toisons de safran,

Et les cheveux couleur de feuilles mortes,

Si on les gardait depuis bien longtemps,

Noués bout à bout pour tordre des cordes,

Afin d’attacher

À de gros anneaux tous les prisonniers

Et qu’on leur permit de se promener

Au bout de leur corde,

Les liens de cheveux seraient longs, si longs,

Qu’en les déroulant du seuil des prisons,

Tous les prisonniers, tous les prisonniers

Pourraient s’en aller

Jusqu’à leur maison…



Si Clothon avait après sa quenouille,

Au lieu du fil court mesurant mes jours,

Tous les cheveux longs, tous les cheveux lourds,

Couleur de soleil et couleur de rouille,

Couleur de corbeau,

Et couleur argent des troncs de bouleaux,

Si Clothon avait après sa quenouille

Tous les cheveux des femmes qui sont mortes,

Je serais si vieux, si seul et si las,

En haut de ma tour, sans regards en bas,

Et sans espérer plus voir rien venir,

Je serais si lourd des lourds souvenirs

De tous ceux partis,

Que j’appellerais la Mort ! — à grands cris !…