DRUON, Maurice



Les rois maudits

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Frère Renaud s’approcha pour fermer les yeux du roi. Mais les paupières qui n’avaient jamais battu se relevèrent d’elles-mêmes. Par deux fois, le Grand Inquisiteur essaya en vain de les abaisser. On dut couvrir d’un bandeau le regard de ce monarque qui entrait les yeux ouverts dans l’éternité.

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La neige fondante s’égouttait des toits. Partout on balayait, partout on fourbissait. Le logis de garde retentissait de grandes claques d’eau jetée par seaux sur le dallage. On graissait les chaînes du pont-levis. On sortait les fourneaux à faire bouillir la poix, comme si la citadelle allait être attaquée sur l’heure. Depuis Richard Cœur de Lion, Château-Gaillard n’avait pas connu pareil branle-bas.

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Toscan et donc capable, pour briller aux yeux d’une femme, de toutes les prouesses, il n’en demeurait pas moins banquier dans l’âme et le sang, et il jouait sur le destin comme on joue sur les changes. « Le péril est l’occasion parfaite de devenir l’intime des grands, se disait-il. Si nous devons tous affonder et périr, ce n’est point de s’écrouler en lamentations, comme le fait le cher Bouville, qui changera notre sort. Mais, si nous en réchappons, alors j’aurai conquis l’estime de la reine de France. » Pouvoir penser de la sorte, en un pareil moment, était déjà le signe d’un beau courage. Mais Guccio, cet été-là, se sentait invincible ; il aimait et se savait aimé.

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