APOLLINAIRE, Guilaume


Zone


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Voilà la jeune rue et tu n’es encore qu’un petit enfant

Ta mère ne t’habille que de bleu et de blanc

Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize

Vous n’aimez rien tant que les pompes de l’Église

Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette

Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège

Tandis qu’éternelle et adorable profondeur améthyste

Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ

C’est le beau lys que tous nous cultivons

C’est la torche aux cheveux roux que n’éteint pas le vent

C’est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère

C’est l’arbre toujours touffu de toutes les prières

C’est la double potence de l’honneur et de l’éternité

C’est l’étoile à six branches

C’est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche

C’est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs

Il détient le record du monde pour la hauteur

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Maintenant tu es au bord de la Méditerranée

Sous les citronniers qui sont en fleur toute l’année

Avec tes amis tu te promènes en barque

L’un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques

Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs

Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur

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Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages

Avant de t’apercevoir du mensonge et de l’âge

Tu as souffert de l’amour à vingt et à trente ans

J’ai vécu comme un fou et j’ai perdu mon temps

Tu n’oses plus regarder tes mains et à tous moments je voudrais sangloter

Sur toi sur celle que j’aime sur tout ce qui t’a épouvanté


Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants

Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants

Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare

Ils ont foi dans leur étoile comme les rois-mages

Ils espèrent gagner de l’argent dans l’Argentine

Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune

Une famille transporte un édredon rouge comme vous transportez votre cœur

Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels

Quelques-uns de ces émigrants restent ici et se logent

Rue des Rosiers ou rue des Écouffes dans des bouges

Je les ai vus souvent le soir ils prennent l’air dans la rue

Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs

Il y a surtout des Juifs leurs femmes portent perruque

Elles restent assises exsangues au fond des boutiques


Tu es debout devant le zinc d’un bar crapuleux

Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux


Tu es la nuit dans un grand restaurant

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Tu es seul le matin va venir

Les laitiers font tinter leurs bidons dans les rues


La nuit s’éloigne ainsi qu’une belle Métive

C’est Ferdine la fausse ou Léa l’attentive


Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie

Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie


Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied

Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et de Guinée

Ils sont des Christ d’une autre forme et d’une autre croyance

Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances


Adieu Adieu


Soleil cou coupé


Automne malade


Automne malade et adoré

Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans les roseraies

Quand il aura neigé

Dans les vergers


Pauvre automne

Meurs en blancheur et en richesse

De neige et de fruits mûrs

Au fond du ciel

Des éperviers planent

Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines

Qui n’ont jamais aimé


Aux lisières lointaines

Les cerfs ont bramé


Et que j’aime ô saison que j’aime tes rumeurs

Les fruits tombant sans qu’on les cueille

Le vent et la forêt qui pleurent

Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille

Les feuilles

Qu’on foule

Un train

Qui roule

La vie

S’écoule


Automne


Dans le brouillard s’en vont un paysan cagneux

Et son boeuf lentement dans le brouillard d’automne

Qui cache les hameaux pauvres et vergogneux


Et s’en allant là-bas le paysan chantonne

Une chanson d’amour et d’infidélité

Qui parle d’une bague et d’un coeur que l’on brise


Oh! l’automne l’automne a fait mourir l’été

Dans le brouillard s’en vont deux silhouettes grises


La tzigane


La tzigane savait d’avance

Nos deux vies barrées par les nuits

Nous lui dîmes adieu et puis

De ce puits sortit l’Espérance


L’amour lourd comme un ours privé

Dansa debout quand nous voulûmes

Et l’oiseau bleu perdit ses plumes

Et les mendiants leurs Ave


On sait très bien que l’on se damne

Mais l’espoir d’aimer en chemin

Nous fait penser main dans la main

A ce qu’a prédit la tzigane


Les fiançailles

.....
Mes amis m’ont enfin avoué leur mépris

Je buvais à pleins verres les étoiles

Un ange a exterminé pendant que je dormais

Les agneaux les pasteurs des tristes bergeries

De faux centurions emportaient le vinaigre

Et les gueux mal blessés par l’épurge dansaient

Étoiles de l’éveil je n’en connais aucune

Les becs de gaz pissaient leur flamme au clair de lune

Des croque-morts avec des bocks tintaient des glas

À la clarté des bougies tombaient vaille que vaille

Des faux-cols sur des flots de jupes mal brossées

Des accouchées masquées fêtaient leurs relevailles

La ville cette nuit semblait un archipel

Des femmes demandaient l’amour et la dulie

Et sombre sombre fleuve je me rappelle

Les ombres qui passaient n’étaient jamais jolies
.....


Nuit rhénane

Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme

Écoutez la chanson lente d'un batelier

Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes

Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu'à leurs pieds


Debout chantez plus haut en dansant une ronde

Que je n'entende plus le chant du batelier

Et mettez près de moi toutes les filles blondes

Au regard immobile aux nattes repliées


Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent

Tout l'or des nuits tombe en tremblant s'y refléter

La voix chante toujours à en râle-mourir

Ces fées aux cheveux verts qui incantent l'été


Mon verre s’est brisé come un éclat de rire


Le pont Mirabeau

Sous le pont Mirabeau coule la Seine
            Et nos amours
       Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
 
     Vienne la nuit sonne l'heure
     Les jours s'en vont je demeure
 
Les mains dans les mains restons face à face
            Tandis que sous
       Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse
 
     Vienne la nuit sonne l'heure
     Les jours s'en vont je demeure
 
L'amour s'en va comme cette eau courante
            L'amour s'en va
       Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente
 
     Vienne la nuit sonne l'heure
     Les jours s'en vont je demeure
 
Passent les jours et passent les semaines
            Ni temps passé
       Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
 
     Vienne la nuit sonne l'heure
     Les jours s'en vont je demeure


La chanson du Mal-Aimé

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Voie lactée ô sœur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d’ahan
Ton cours vers d’autres nébuleuses

Regret des yeux de la putain
Et belle comme une panthère
Amour vos baisers florentins
Avaient une saveur amère
Qui a rebuté nos destins

Ses regards laissaient une traîne
D’étoiles dans les soirs tremblants
Dans ses yeux nageaient les sirènes
Et nos baisers mordus sanglants
Faisaient pleurer nos fées marraines


Mais en vérité je l’attends
Avec mon cœur avec mon âme
Et sur le pont des Reviens-t’en
Si jamais revient cette femme
Je lui dirai Je suis content

Mon cœur et ma tête se vident
Tout le ciel s’écoule par eux
Ô mes tonneaux des Danaïdes
Comment faire pour être heureux
Comme un petit enfant candide

Je ne veux jamais l’oublier
Ma colombe ma blanche rade
Ô marguerite exfoliée
Mon île au loin ma Désirade
Ma rose mon giroflier

Les satyres et les pyraustes
Les égypans les feux follets
Et les destins damnés ou faustes
La corde au cou comme à Calais
Sur ma douleur quel holocauste


Douleur qui doubles les destins
La licorne et le capricorne
Mon âme et mon corps incertain
Te fuient ô bûcher divin qu’ornent
Des astres des fleurs du matin

Malheur dieu pâle aux yeux d’ivoire
Tes prêtres fous t’ont-ils paré
Tes victimes en robe noire
Ont-elles vainement pleuré
Malheur dieu qu’il ne faut pas croire


Et toi qui me suis en rampant

Dieu de mes dieux morts en automne

Tu mesures combien d’empans

J’ai droit que la terre me donne

Ô mon ombre ô mon vieux serpent


Au soleil parce que tu l’aimes

Je t’ai menée souviens-t’en bien

Ténébreuse épouse que j’aime

Tu es à moi en n’étant rien

Ô mon ombre en deuil de moi-même


L’hiver est mort tout enneigé

On a brûlé les ruches blanches

Dans les jardins et les vergers

Les oiseaux chantent sur les branches

Le printemps clair l’avril léger


Mort d’immortels argyraspides

La neige aux boucliers d’argent

Fuit les dendrophores livides

Du printemps cher aux pauvres gens

Qui resourient les yeux humides


Et moi j’ai le cœur aussi gros

Qu’un cul de dame damascène

Ô mon amour je t’aimais trop

Et maintenant j’ai trop de peine

Les sept épées hors du fourreau


Sept épées de mélancolie

Sans morfil ô claires douleurs

Sont dans mon cœur et la folie

Veut raisonner pour mon malheur

Comment voulez-vous que j’oublie


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Les colchiques

Le pré est vénéneux mais joli en automne

Les vaches y paissant

Lentement s'empoisonnent

Le colchique couleur de cerne et de lilas

Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-la

Violatres comme leur cerne et comme cet automne

Et ma vie pour tes yeux lentement s'empoisonne

Les enfants de l'école viennent avec fracas

Vêtus de hoquetons et jouant de l'harmonica

Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères

Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières

Qui battent comme les fleurs battent au vent dément

Le gardien du troupeau chante tout doucement

Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent

Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l'automne


Signe

Je suis soumis au Chef du Signe de l'Automne

Partant j'aime les fruits je déteste les fleurs

Je regrette chacun des baisers que je donne

Tel un noyer gaulé dit au vent ses douleurs


Mon Automne éternelle ô ma saison mentale

Les mains des amantes d'antan jonchent ton sol

Une épouse me suit c'est mon ombre fatale

Les colombes ce soir prennent leur dernier vol


A la Santé
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IV

Que je m’ennuie entre ces murs tout nus

Et peint de couleurs pâles

Une mouche sur le papier à pas menus

Parcourt mes lignes inégales

Que deviendrai-je ô Dieu qui connais ma douleur

Toi qui me l’as donnée

Prends en pitié mes yeux sans larmes ma pâleur

Le bruit de ma chaise enchainée

Et tous ces pauvres coeurs battant dans la prison

L’Amour qui m’accompagne

Prends en pitié surtout ma débile raison

Et ce désespoir qui la gagne
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IL PLEUT







La petite auto

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Cœur couronne et miroir
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