VIAU, Théophile de
Élégie à une dame
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Je veux faire des vers qui ne soient pas contraints,
Promener mon esprit par de petits desseins,
Chercher des lieux secrets où rien ne me déplaise,
Méditer à loisir, rêver tout à mon aise,
Employer toute une heure à me mirer dans l'eau,
Ouïr comme en songeant la course d'un ruisseau,
Écrire dans les bois, m'interrompre, me taire,
Composer un quatrain, sans songer à le faire.
Après m'être égayé par cette douce erreur,
Je veux qu'un grand dessein réchauffe ma fureur,
Qu'un œuvre de dix ans me tienne à la contrainte,
De quelque beau Poème, où vous serez dépeinte :
Là si mes volontés ne manquent de pouvoir,
J'aurai bien de la peine en ce plaisant devoir.
En si haute entreprise où mon esprit s'engage,
Il faudrait inventer quelque nouveau langage,
Prendre un esprit nouveau, penser et dire mieux
Que n'ont jamais pensé les hommes et les Dieux.
Je songeais que Philis des enfers revenue"
Je songeais que Philis des enfers revenue,
Belle comme elle était à la clarté du jour,
Voulait que son fantôme encore fît l'amour
Et que comme Ixion j'embrassasse une nue.
Son ombre dans mon lit se glissa toute nue
Et me dit : " Cher Tircis, me voici de retour,
Je n'ai fait qu'embellir en ce triste séjour
Où depuis ton départ le sort m'a retenue.
Je viens pour rebaiser le plus beau des amants,
Je viens pour remourir dans tes embrassements. "
Alors, quand cette idole eut abusé ma flamme
Elle me dit : " Adieu, je m'en vais chez les morts.
Comme tu t'es vanté d'avoir foutu mon corps,
Tu pourras te vanter d'avoir foutu mon âme. "
Stances
Quand tu me vois baiser tes bras,
Que tu poses nus sur tes draps,
Bien plus blancs que le linge même ;
Quand tu sens ma brûlante main
Se promener dessus ton sein,
Tu sens bien, Cloris, que je t'aime.
Comme un dévot devers les cieux,
Mes yeux tournés devers tes yeux,
A genoux auprès de ta couche,
Pressé de mille ardents désirs,
Je laisse sans ouvrir ma bouche
Avec toi dormir mes plaisirs.
Le sommeil aise de t'avoir
Empêche tes yeux de me voir,
Et te retient dans son empire
Avec si peu de liberté,
Que ton esprit tout arrêté
Ne murmure ni ne respire.
La rose en rendant son odeur,
Le soleil donnant son ardeur,
Diane et le char qui la traîne,
Une Naïade dedans l'eau,
Et les Grâces dans un tableau,
Font plus de bruit que ton haleine.
Là je soupire auprès de toi,
Et considérant comme quoi
Ton œil si doucement repose,
Je m'écrie : Ô Ciel ! peux-tu bien
Tirer d'une si belle chose
Un si cruel mal que le mien ?
D'un sommeil plus tranquille à mes Amours rêvant
D'un sommeil plus tranquille à mes Amours rêvant
J'éveille avant le jour mes yeux et ma pensée,
Et cette longue nuit si durement passée,
Je me trouve étonné de quoi je suis vivant.
Demi désespéré je jure en me levant
D'arracher cet objet à mon âme insensée,
Et soudain de ses voeux ma raison offensée
Se dédit et me laisse aussi fol que devant.
Je sais bien que la mort suit de près ma folie,
Mais je vois tant d'appas en ma mélancolie
Que mon esprit ne peut souffrir sa guérison.
Chacun à son plaisir doit gouverner son âme,
Mytridate autrefois a vécu de poison,
Les Lestrigons de sang, et moi je vis de flamme.
Au moins ai-je songé que je vous ai baisée
Au moins ai-je songé que je vous ai baisée,
Et bien que tout l'amour ne s'en soit pas allé,
Ce feu qui dans mes sens a doucement coulé,
Rend en quelque façon ma flamme rapaisée.
Après ce doux effort mon âme reposée
Peut rire du plaisir qu'elle vous a volé,
Et de tant de refus à demi consolé,
Je trouve désormais ma guérison aisée.
Mes sens déjà remis commencent à dormir,
Le sommeil qui deux nuits m'avait laissé gémir,
Enfin dedans mes yeux vous fait quitter la place.
Et quoi qu'il soit si froid au jugement de tous,
Il a rompu pour moi son naturel de glace,
Et s'est montré plus chaud et plus humain que vous.
Vous avez la fesse soudaine,
Vous avez la fesse soudaine,
Alors qu'on vous presse le flanc ?
Le cul sans cesse me démène
Comme l'aiguille d'un cadran.
Qui vous voit la mine si froide,
Ne vous croit point le cul si chaud.
C'est au con qu'il faut un vit roide,
Ce n'est point au front qu'il le faut.
Je viens dans un désert mes larmes épancher
Je viens dans un désert mes larmes épancher,
Où la terre languit, où le Soleil s’ennuie,
Et d’un torrent de pleurs qu’on ne peut étancher
Couvre l’air de vapeurs et la terre de pluie.
Là le seul réconfort qui peut m’entretenir,
C’est de ne craindre point que les vivants me cherchent
Où le flambeau du jour n’osa jamais venir.
À Chloris
S'il est vrai, Chloris, que tu m'aimes,
Mais j'entends, que tu m'aimes bien,
Je ne crois point que les rois mêmes
Aient un bonheur pareil au mien.
Que la mort serait importune
De venir changer ma fortune
A la félicité des cieux!
Tout ce qu'on dit de l'ambroisie
Ne touche point ma fantaisie
Au prix des grâces de tes yeux.