PELLERIN, Jean
Que du pavot
Que du pavot naisse la terre
Où, fille de beauté,
Ta danse tisse du mystère
Et de la volupté,
Ta danse, la naïade en joie
Au milieu des roseaux
Où, tournoyant, monte et s’éploie
Un millier d’oiseaux
Légers, ivres d’azur... Ta danse
Où la paresse dort,
Où l’ardeur se couche et s’élance
Sur une flèche d’or.
Veneris dies
Femme de deuil et d’opprobre,
Je veux tes mains pour mes fièvres,
Tu sauras m’ouvrir les lèvres,
Comme tu m’ouvres ta robe.
Que nous ont-ils dit là-bas ?
Il pleuvait de la lumière,
Et c’était la coutumière
Fête. Mais notre sabbat
À nous, c’est la lampe jaune,
Déesse de cette alcôve.
Et c’est ton corps frais et fauve,
Et c’est ta royale aumône.
C’est ce rectangle de noir
Que découpe la fenêtre,
Et c’est ce que j’ai fait naître
De douleur — pour moi — ce soir.
Chanson
Je ne sais déjà plus
Où est la belle fille...
Elle est dans les chansons
Sur un beau cerisier.
Sa jupe, elle est nouée.
La corde est à l’échelle,
Et monsieur le curé
Feuillette son bréviaire...
Ah ! monsieur le curé,
Dimanche, à votre prône,
Soyez assez clément
Pour ne pas dire aux vieilles
Qu’en marmonnant vos heures,
Dans l’enclos du moulin,
Vous avez vu la fille
À la jupe nouée !
Elle aurait trop grand honte
Et ne monterait plus
Pour cueillir des cerises
Sur le beau cerisier.
Notre amour
Notre amour, ce soir, se penche,
Comme s’incline la branche,
Comme penche la clarté
Où s’émerveille l’été...
Il s’élance, brusque flamme,
Dans une danse de femme,
Il est ivre de l’oubli,
De la paresse et du lit,
Ivre de ses mains chargées,
De ses paupières dorées,
Ivre d’un loyal ennui...
Il se tend et se déploie,
Tout le long de notre joie,
Tout le long de notre nuit...
Le vent a poussé les auvents ;
La crépitante averse
De milliers d’aiguilles traverse
Les nuages mouvants ;
Aux étangs morts, l’automne las
Boit dans ses mains noircies...
La cloche abandonne son glas
Aux brumes épaissies...