MALRIEU, Jean
Portant secours à l’être à révéler,
Les mots que j’appelle s’arrêtent,
Perdent leur chair, leur consistance,
Et n’ont, pour te témoigner reconnaissance,
Jaillissant de ce texte de longue distance,
Qu’une hâte bouleversante pour rejoindre.
Je suis venu avec le printemps. Une vague se meurt.
Je suis venu avec le désir. La lumière perd ses cris.
Ma faiblesse à te nommer te rend plus belle encore.
Alors
Sois ce nuage
Pour arrêter le regard et donner plus de l’espace.
Deviens rivière
Pour allonger ton corps dans la durée
Plus léger que le vent au sommet de l’instant qui ne me soutient plus,
Je m’efface dans ta présence.
Un signe dans l’été
…..
Les allées du jardin, une à une, sortent de l’ombre, et le premier oiseau et la première abeille
Encore mal dégagés de la chevelure des ténèbres et des rumeurs
Dans leur vol liquide se cognent contre les étoiles et les fleurs.
Poète, à mon métier, tandis que se défait l’immense toile d’araignée céleste, la page du cahier où je travaille et que j’oubliais sur l’écritoire
Fut un miroir à son dernier quartier où toute la nuit s’est penchée, où vinrent boire,
Écartant les souffles lascifs des roseaux, les bêtes nocturnes, la source nue
Et je n’ai, sur le calque de leurs traces, qu’à repasser à l’encre par-dessus.
J’écris avec les pattes des lièvres qui n’ont cessé de courir dans les prés,
Avec le frôlement de la sauvagine et des astres, et tout ce qu’ils auront à me dire je ne le saurai que bien après.
J’écoute la joie de vivre et de sentir battre un cœur universel dans ma poitrine.
Et l’aube me reçoit debout, pasteur des mots, comme un à qui l’on confia un troupeau et qui se réveille le gardien des collines.
…..
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C’était hier et c’est demain
Cette plainte merveilleuse de l’âme, c’est l’amour.
Écoute-la. Je n’ai point d’âge, mais, nourri d’épices, chargé de sel, couvert d’humus, empli de choses à naître,
Je suis maître de moi comme d’un navire, et mon corps est un voilier d’avril, de vice, d’impudeur.
J’ose aimer et je délire.
Notre amour sent le lys et le soufre.
Désir rauque, fouette-moi de tes ronces.
Je lutte avec toi dans la broussaille.
Cherche-moi. Trouve-moi.
Les herbes giclent vert.
Nous sommes un printemps au monde,
Acharnés comme des lutteurs au-dessus de la mort.
…..
Le plus beau jour
S’il pouvait faire un temps à mettre un chien dehors
Si je pouvais avoir un cœur à fendre pierre
Si l’amour devenait plus lâche que la mort
Si nous étions des morts pour parler de la vie
Si nous étions heureux pour ne plus rien nous dire
Si nous étions vivants pour pouvoir nous aimer
Si le monde n’était pas fait pour le refaire
Si tu n’existais pas pour pouvoir t’inventer.
Les maisons de feuillages
Nous avons ensemble marché si longtemps
Que les avoines ne nous ont point quitté.
Le ruisseau nous accompagne depuis ce jour
Où l’accord se fit entre nos âmes.
Nous sommes un. C’est fête
Au coeur des arbres et la lumière
Flue, miel, baume d’abeilles
Qui donc est moi? Où commences-tu?
Je suis perdu. Je suis aimé.
Les arbres amis nous assiègent.
Nous sommes royaux. Nous passons.
La terre et le ciel se mêlent
Dans la patrie du silence.
Nuit d’herbe
Nuit d’herbe, nuit mise à nu, nuit d’ignorance, nuit de refus,
Je gémis. La barque à l’ancre se soulève. Le dernier flot de la marée accourt.
Ne crains rien des douleurs de l’amour. Les oiseaux dorment. Le vent ne sait où se poser.
Il se repose
Et sans maître habité par la nuit, je suis aussi ce bateau fou.
Beau temps, n’est-ce pas, timonier ?
Beau temps de minuit, beau temps de l’amour.
Les câbles et cabestans grincent. C’est le désir. Des vagues s’épousent.
Le port est au bout du monde, tes hanches, tes seins, je ne sais.
Je gémis de toute plainte pour tous les hommes. Je psalmodie, je crie, je murmure, je me tais.
Je n’ai rien dit, je n’ai rien fait.
Car tes cheveux comme les forêts brûlent avec ton odeur de fruits lointains. (…)