CLARIS DE FLORIAN, Jean-Pierre


Plaisir d'amour

Plaisir d'amour ne dure qu'un moment,
Chagrin d'amour dure toute la vie.

J'ai tout quitté pour l'ingrate Sylvie,
Elle me quitte et prend un autre amant.
Plaisir d'amour ne dure qu'un moment,
Chagrin d'amour dure toute la vie.

Tant que cette eau coulera doucement
Vers ce ruisseau qui borde la prairie,
Je t'aimerai, me répétait Sylvie ;
L'eau coule encor, elle a changé pourtant !

Plaisir d'amour ne dure qu'un moment,
Chagrin d'amour dure toute la vie.


Épilogue

C’est assez, suspendons ma lyre,

Terminons ici mes travaux :

Sur nos vices, sur nos défauts,

J’aurais encor beaucoup à dire ;

Mais un autre le dira mieux.

Malgré ses efforts plus heureux,

L’orgueil, l’intérêt, la folie,

Troubleront toujours l’univers ;

Vainement la philosophie

Reproche à l’homme ses travers,

Elle y perd sa prose et ses vers.

Laissons, laissons aller le monde

Comme il lui plaît, comme il l’entend ;

Vivons caché, libre et content,

Dans une retraite profonde.

Là, que faut-il pour le bonheur ?

La paix, la douce paix du cœur,

Le désir vrai qu’on nous oublie,

Le travail qui sait éloigner

Tous les fléaux de notre vie,

Assez de bien pour en donner,

Et pas assez pour faire envie.


Le rossignol et le prince

Un jeune prince, avec son gouverneur,

Se promenait dans un bocage,

Et s'ennuyait suivant l'usage ;

C'est le profit de la grandeur.

Un rossignol chantait sous le feuillage :

Le prince l'aperçoit, et le trouve charmant ;

Et, comme il était prince, il veut dans le moment

L'attraper et le mettre en cage.

Mais pour le prendre il fait du bruit,

Et l'oiseau fuit.

Pourquoi donc, dit alors son altesse en colère,

Le plus aimable des oiseaux

Se tient-il dans les bois, farouche et solitaire,

Tandis que mon palais est rempli de moineaux ?

C'est, lui dit le mentor, afin de vous instruire

De ce qu'un jour vous devez éprouver :

Les sots savent tous se produire ;

Le mérite se cache, il faut l'aller trouver.


Le voyage

Partir avant le jour, à tâtons, sans voir goutte,

Sans songer seulement à demander sa route,

Aller de chute en chute; et, se traînant ainsi,

Faire un tiers du chemin jusqu'à près de midi;

Voir sur sa tête alors amasser les nuages,

Dans un sable mouvant précipiter ses pas;

Courir, en essuyant orages sur orages,

Vers un but incertain où l'on n'arrive pas;

Détrempé vers le soir, chercher une retraite;

Arriver haletant, se coucher, s'endormir;

On appelle cela naître, vivre et mourir.