VOITURE, Vincent



Notre Aurore vermeille


Notre Aurore vermeille

Sommeille,

Qu’on se taise à l’entour,

Et qu’on ne la resveille

Que pour donner le jour.


…..


Sonnet d’Uranie

Il faut finir mes jours en l’amour d’Uranie,

L’absence ni le temps ne m’en sauraient guérir,

Et je ne vois plus rien qui me pût secourir,

Ni qui sût r’appeler ma liberté bannie.


Dès long-temps je connais sa rigueur infinie,

Mais pensant aux beautés pour qui je dois périr,

Je bénis mon martyre, et content de mourir,

Je n’ose murmurer contre sa tyrannie.


Quelquefois ma raison, par de faibles discours,

M’incite à la révolte, et me promet secours,

Mais lors qu’à mon besoin je me veux servir d’elle ;


Après beaucoup de peine, et d’efforts impuissants,

Elle dit qu’Uranie est seule aimable et belle,

Et m’y r’engage plus que ne font tous mes sens.



Sous un habit de fleurs, la Nymphe que j’adore


Sous un habit de fleurs, la Nymphe que j’adore,

L’autre soir apparut si brillante en ces lieux,

Qu’à l’éclat de son teint et celui de ses yeux,

Tout le monde la prit pour la naissante Aurore.


La Terre, en la voyant, fit mille fleurs éclore,

L’air fut partout rempli de chants mélodieux,

Et les feux de la nuit pâlirent dans les Cieux,

Et crurent que le jour recommençait encore.


Le Soleil qui tombait dans le sein de Thétis,

Rallumant tout à coup ses rayons amortis,

Fit tourner ses chevaux pour aller après elle.


Et l’Empire des flots ne l’eût su retenir ;

Mais la regardant mieux, et la voyant si belle,

Il se cacha sous l’onde et n’osa revenir.



Les demoiselles de ce temps


Les demoiselles de ce temps

Ont depuis peu beaucoup d’amants;

On dit qu’il n’en manque à personne,

L’année est bonne.


Nous avons vu les ans passés

Que les galants étaient glacés;

Mais maintenant tant en foisonne,

L’année est bonne.


Le temps n’est pas bien loin encor

Qu’ils se vendaient au poids de l’or,

Et pour le présent on les donne,

L’année est bonne.


Le soleil de nous rapproché

Rend le monde plus échauffé;

L’amour règne, le sang bouillonne,

L’année est bonne.



Dedans ces prés herbus et spacieux


Dedans ces prés herbus et spacieux,

Où mille fleurs semblent sourire aux Cieux,

Je viens blessé d'une atteinte mortelle

Pour soulager le mal qui me martèle,

Et divertir mon esprit par mes yeux.


Mais contre moi mon coeur séditieux

Me donne plus de pensers soucieux

Que l'on ne voit de brins d'herbe nouvelle

Dedans ces prés.


De ces tapis le pourpre précieux,

De ces ruisseaux le bruit délicieux,

De ces vallons la grâce naturelle,

Blesse mes sens, me gêne et me bourelle,

Ne voyant pas ce que j'aime le mieux

Dedans ces prés.