SAINT-GELAIS, Mellin de



Pour tous les biens qui sont deçà la mer


Ils vous diront que votre doux langage

les coeurs humains aliène et engage,

et que l’accueil de vos douces manières

peut appaiser Mars entre ses bannières.


Si vous touchez espinettes ou luz,

Vous appaisez les sujets d’Eolus ;

Et si l’aller par les champs vous délecte,

A chacun pas croît une violette.


Voyant ces monts


Voyant ces monts de vue ainsi lointaine,

Je les compare à mon long déplaisir,

Haut est leur chef, et haut est mon désir,

Leur pied est ferme et m’amour est certaine :


Là maint ruisseau court et mainte fontaine,

De mes deux yeux sortent pleurs à plaisir ;

De grands soupirs ne me puis dessaisir

Et de grands vents leur cime est toute pleine :


Mille troupeaux y prennent leur pâture,

Amour en moi prend vie et nourriture :

En eux sans fruit feuilles ont apparence,


J’ai sans effet assez bonne espérance,

Et d’eux à moi n’a qu’une différence

Qu’en eux la neige, en moi la flamme dure.



Amour cruel


Amour cruel, fière mort, une dame,

Ont entrepris tous trois un seul affaire :

C’est de m’ôter tous trois la vie, et l’âme,

Et le feront car facile est à faire.

Amour par feu prétend à me défaire,

Mort par ennui, ma Dame par durté,

Mais elle seule étant de mon côté

Je ne craindrais des deux autres l’effort :

Le feu serait de l’eau de grâce ôté,

L’ennui chassé par soulas, et confort.



Folie


Comme un Cheval se polit à l’étrille

Et comme on voit un hareng sur la grille

Se revenir, et un chapon en mue,

Ainsi j’engraisse et ma couleur se mue,

Quand ma mignonne avec moi babille,


Et s’il advient qu’elle se déshabille,

Montrant un sein aussi rond qu’une bille,

J’ai un poulain que je dresse et remue

Comme un Cheval.


Je lui hennis, je l’embrasse, et la pille,

Et le lui montre aussi droit qu’une quille,

Le museau gros comme un bout de massue.

Le cœur m’en bat, et le front lui en sue.

Puis quand c’est fait, au fait, au trot je drille,

Comme un Cheval.



Dizain


Un jour que Madame dormait,

Monsieur branlait sa chambrière

Et elle qui la danse aimait

Remuait fort bien le derrière,

De quoi la garce toute fière

Lui dit : « Monsieur, par votre foi

Qui le fait mieux, Madame, ou moi ? »

« — C’est toi, dit-il, sans contredit. »

« — Nenda, dit-elle, je le crois,

Car tout le monde le me dit. »