GIRARD, René



Des choses cachées depuis la fondation du monde

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On ne se défait d’un puritanisme, dans le monde moderne, que pour tomber dans un autre. Ce n’est plus de la sexualité qu’on veut priver les hommes, mais de quelque chose dont ils ont plus besoin encore, le sens. L’homme ne vit pas seulement de pain et de sexualité. La pensée actuelle, c’est la castration suprême, puisque c’est la castration du signifié. Tout le monde est là à surveiller son voisin pour le surprendre en flagrant délit de croyance en quoi que ce soit ; nous n’avons lutté contre les puritanismes de nos pères que pour tomber dans un puritanisme bien pire que le leur, le puritanisme de la signification qui tue tout ce qu’il touche autour de lui ; il dessèche tous les textes, il répand partout l’ennui le plus morne au sein même de l’inouï. Derrière son apparence faussement sereine et désinvolte, c’est le désert qu’il propage autour de lui.

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La Violence et le Sacré


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Pour se convaincre que le sacrifice est une violence sans risque de vengeance, il suffit de constater la place considérable que font à ce thème les rituels. Et de noter le paradoxe parfois un peu comique, de références perpétuelles à la vengeance, d’une véritable obsession de la vengeance dans un contexte où les risques de vengeance sont tout à fait nuls, celui du meurtre d’un mouton, par exemple :

On s’excusait de l’acte qu’on allait accomplir, on gémissait de la mort de la bête, on la pleurait comme un parent. On lui demandait pardon avant de la frapper. On s’adressait au reste de l’espèce à laquelle elle appartenait comme à un vaste clan familial que l’on suppliait de ne pas venger le dommage qui allait lui être causé dans la personne d’un de ses membres. Sous l’influence des mêmes idées, il arrivait que l’auteur du meurtre était puni; on le frappait ou on l’exilait.

C'est l’espèce entière, considérée comme un vaste clan familial, que les sacrificateurs prient de ne pas venger la mort de leur victime. En décrivant dans le sacrifice un meurtre peut-être destiné à être vengé, le rituel nous désigne de façon indirecte la fonction du rite, le genre d’action qu’il est appelé à remplacer et le critère qui préside au choix de la victime. Le désir de violence porte sur les proches, il ne peut pas s’assouvir sur eux sans entraîner toutes sortes de conflits, il faut donc le détourner vers la victime sacrificielle, la seule qu’on puisse frapper sans danger car il n’y aura personne pour épouser sa cause.

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