CHAR, René



Conseil de la sentinelle


Fruit qui jaillissez du couteau,

Beauté dont saveur est l'écho,

Aurore à gueule de tenailles,

Amants qu'on veut désassembler,

Femme qui portez tablier,

Ongle qui grattez la muraille,

Désertez! désertez!



Complainte du Lézard Amoureux


N'égraine pas le tournesol,

Tes cyprès auraient de la peine,

Chardonneret, reprends ton vol

Et reviens à ton nid de laine.


Tu n'es pas un caillou du ciel

Pour que le vent te tienne quitte.

Oiseau rural; l'arc-en-ciel

S'unifie dans la marguerite.


L'homme fusille, cache-toi;

Le tournesol est son complice.

Seules les herbes sont pour toi,

Les herbes des champs qui se plissent.


Le serpent ne te connaît pas.

Et la sauterelle est bougonne;

La taupe, elle, n'y voit pas;

Le papillon ne hait personne.


Il est midi, chardonneret.

Le seneçon est là qui brille
Attarde-toi, va, sans danger :

L'homme est rentré dans sa famille!


L'écho de ce pays est sûr.

J'observe, je suis bon prophète;

Je vois tout de mon petit mur,

Même tituber la chouette.


Qui, mieux qu'un lézard amoureux,

Peut dire les secrets terrestres?

Ô léger gentil roi des cieux.

Que n'as-tu ton nid dans ma pierre!



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Que les gouttes de pluie soient en toute saison

Les beaux éclairs de l’horizon ;

La terre nous la parcourons.

Matin, nous lui baisons le front.


Chaque femme se détournant,

Notre chance c’est d’obtenir

Que la foudre en tombant devienne

L’incendie de notre plaisir.


Tourterelle, oiseau de noblesse,

L’orage oublie qui le traverse




Les Pyrénées


Montagne des grands abusés,
Au sommet de vos tours fiévreuses
Faiblit la dernière clarté.
Rien que le vide et l'avalanche,
La détresse et le regret!
Tous ces troubadours mal-aimés
Ont vu blanchir dans un été
Leur doux royaume pessimiste.
Ah! la neige est inexorable
Qui aime qu'on souffre à ses pieds,
Qui veut que l'on meure glacé
Quand on a vécu dans les sables .



À ***


Tu es mon amour depuis tant d’années,

Mon vertige devant tant d’attente,

Que rien ne peut vieillir, froidir ;

Même ce qui attendait notre mort,

Ou lentement sut nous combattre,

Même ce qui nous est étranger,

Et mes éclipses et mes retours.


Fermée comme un volet de buis,

Une extrême chance compacte

Est notre chaîne de montagnes,

Notre comprimante splendeur.


Je dis chance, ô ma martelée ;

Chacun de nous peut recevoir

La part de mystère de l’autre

Sans en répandre le secret ;

Et la douleur qui vient d’ailleurs

Trouve enfin sa séparation

Dans la chair de notre unité,

Trouve enfin sa route solaire

Au centre de notre nuée

Qu’elle déchire et recommence.


Je dis chance comme je le sens.

Tu as élevé le sommet

Que devra franchir mon attente

Quand demain disparaîtra



Effacement du peuplier


L’ouragan dégarnit les bois.

J’endors, moi, la foudre aux yeux tendres.

Laissez le grand vent où je tremble

S’unir à la terre où je crois.


Son souffle affile ma vigie.

Qu’il est trouble le creux du leurre

De la source aux couches salies !


Une clé sera ma demeure,

Feinte d’un feu que le coeur certifie;

Et l’air qui la tint dans ses serres.