MORAND, Paul



Ode à Marcel Proust

Ombre

Née de la fumée de vos fumigations,

Le visage et la voix

Mangés

Par l’usage de la nuit

Céleste,

Avec sa vigueur, douce, me trempe dans le jus noir

De votre chambre

Qui sent le bouchon tiède et la cheminée morte.

Derrière l’écran des cahiers,

Sous la lampe blonde et poisseuse comme une confiture,

Votre visage gît sous un traversin de craie.

Vous me tendez des mains gantées de filoselle;

Silencieusement votre barbe repousse

Au fond de vos joues.

Je dis :

- vous avez l’air d’aller fort bien.

Vous répondez :

- Cher ami, j’ai failli mourir trois fois dans la journée.

Vos fenêtres à tout jamais fermées

Vous refusent au boulevard Haussmann

Rempli à pleins bords,

Comme une auge brillante,

Du fracas de tôle des tramways.

Peut-être n’avez-vous jamais vu le soleil ?

Mais vous l’avez reconstitué, comme Lemoine, si véridique,

Que vos arbres fruitiers dans la nuit

Ont donné les fleurs.

Votre nuit n’est pas notre nuit :

C’est plein des lueurs blanches

Des catleyas) et des robes d’Odette,

Cristaux des flûtes, des lustres

Et des jabots tuyautés du général de Froberville.

Votre voix, blanche aussi, trace une phrase si longue

Qu’on dirait qu’elle plie, alors que comme un malade

Sommeillant qui se plaint,

Vous dites : qu’on vous a fait un énorme chagrin.

Proust, à quels raouts allez-vous donc la nuit

Pour en revenir avec des yeux si las et si lucides ?

Quelles frayeurs à nous interdites avez-vous connues

Pour en revenir si indulgent et si bon ?

Et sachant les travaux des âmes

Et ce qui se passe dans les maisons,

Et que l’amour fait si mal ?

Étaient-ce de si terribles veilles que vous y laissâtes

Cette rose fraicheur

Du portrait de Jacques-Émile Blanche ?

Et que vous voici, ce soir,

Pétri de la pâleur docile des cires

Mais heureux que l’on croie à votre agonie douce

De dandy gris perle et noir ?



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…..
Enveloppé dans des linges sales

un soleil tombe

Comment après cela oublier la station des Invalides

les matins de janvier,

sous la pluie,

alors qu’un métro livide

rendait, par hoquets,

comme des glaires,

quelques auxiliaires qui toussent

…..