RIBEIRO, Catherine



La Pierre et le vent


La montagne est obscure

À des années-lumière

Égaré dans le ciel

Le soleil s'est perdu

Noyé dans les étoiles

Le soleil s'est pendu

À l'écharpe de feu

Qui entourait mon cou

Je pars à ta recherche

Afin de me trouver


J'ai marché dans la boue

Et les sables mouvant

Sur des chemins de pierre

Envahis de serpents

J'invoquais les étoiles

Et la nuit et le vent

Les dieux et les démons

Exploraient les bordels

Tandis que je chantais

Muette et sans guitare


Le temps se propageait

Dissous dans la musique

Du fond de mes orages

Je foudroyais l'éclair

L'âpreté du silence

Et de la solitude

Un semblant de mensonge

Un rien de vérité

L'agonie de la vie

Et de la société


La pierre et puis le vent

Ont dessiné l'espace

Il ne reste donc plus

Entre ton corps et moi

Que ta bouche entrouverte

Et mes doigts sur ta peau

C'est l'heure du sommeil

Tes yeux se sont fermés

Et je sens ta chaleur

Sur moi se refermer-


Carrefour de la Solitude


Au carrefour de ma solitude

Et de mes illusions perdues

Quand vont se coucher les étoiles

Que s'apaisent nos ultimes craintes

L'idée de l'homme transparaît
de l'homme transparaît

Tumultueuse et dévorante


L'infinie douceur de sa voix

Trouble ma musique intérieure

Il parle des à-coups de la vie

En un murmure exacerbé

Il dit qu'il faut encore lutter

Alors que j'ai les reins cassés


Et puis soudain, dans la nuit noire

Après tant d'efforts déguisés

La femme louve se réveille

La faim lui dénoue les entrailles

Dévoilant son corps dispersé

À l'horizon soleil couché


Dans des draps d'aube tourmentée

Ses bras enserrent l'éternité

Il la turbule et la patiente

Elle n'est plus seule dans la chaleur

Peu à peu s'ouvre sur le jour

Un visage au regard nouveau


Il devient le centre du monde

Les quatre chemins de son âme

Sous le feu de l'incertitude

Leurs deux mains se sont détachées

Elle veut le fondre à son amour

Mais douc'ment, il s'est éloigné


Il y a des plaintes qui s'entravent

Elle n'attend plus rien ni personne

Et son chagrin en mouvement

Déjà se confond à l'abîme

Si près de lui dans la douceur

Si près de lui dans le néant.


Paix 1972


Paix à celui qui hurle parce qu'il voit clair

Paix à nos esprits malades, à nos coeurs éclatés

Paix à nos membres fatigués, déchirés

Paix à nos générations dégénérées

Paix aux grandes confusions de la misère

Paix à celui qui cherche en se frappant la tête contre

des murs en béton


Paix au courroux de l'homme qui a faim

Paix à la haine, à la rage des opprimés

Paix à celui qui travaille de ses mains

Paix à cette nature qui nous a toujours donné le meilleur d'elle-même

Et dont chaque homme quel qu'il soit a besoin

Paix à nos ventres - grands réservoirs de poubelles académiques

Paix à vous mes amis, dont la tendresse m'est une nécessité

Paix et respect de la vie de chacun

Paix à la fascination du feu, paix au lever du jour

à la tombée de la nuit

Paix à celui qui marche sur les routes jusqu'aux

horizons sans fin

Paix au cheval de labour

Paix aux âmes mal-nées qui enfantent des cauchemars

Paix aux rivières, aux mers, aux océans qui accouchent

de poissons luisants de gas-oil

Paix à toi ma mère, dont le sourire douloureux s'efface auprès de tes enfants

Paix enfin à celui qui n'est plus et qui toute sa vie a trimé

attendant des jours meilleurs


PAIX PAIX...



Les Prédateurs


Ils m'ont tout pris mes hommes mes femmes

Mes jeux secrets et mes caresses

Mes turbulences mes oriflammes

Mes mains complices de la tendresse

Ils m'ont tout pris et Dieu mon âme.


Compagnons de la chimère

Maîtresses de la pétaudière

Amants de la violation

Femmes vautours de la passion.


Ils m'ont tout pris les en-castrés

Mes jours sans fin nuits sans sommeil

Mes forces vives fragilisées

Mes ruptures en forme d'éveil

Ils m'ont tout pris dans la foulée.


Compagnons de la chimère

Maîtresses de la pétaudière

Amants de la négation

Femmes vautours de l'occasion.


Ils m'ont tout pris les prédateurs

Et tout mon corps y est passé

M'ont dévorée jusqu'à l'horreur

Jusqu'à vouloir me supprimer

Ils m'ont tout pris en profondeur.


Compagnons de la chimère

Maîtresses de la pétaudière

Amants de la déraison

Femmes vautours de lunaison.


Ils m'ont tout pris mais je suis là

Surdouée de la survivance

Je sais encore ouvrir mes bras

Aux émois de la fulgurance

Ils m'ont tout pris me revoilà


Compagnons de la chimère

Maîtresses de la pétaudière

Amants de la désillusion

Femmes vautours de l'illusion.