PEGUY, Charles
La Prière Mariale
À Celle qui intercède.
La Seule qui puisse parler de l'autorité d'une mère.
S'adresser hardiment à Celle qui est infiniment pure.
Parce qu'aussi Elle est infiniment douce...
À Celle qui est infiniment riche.
Parce qu'aussi Elle est infiniment pauvre.
À Celle qui est infiniment haute.
Parce qu'aussi Elle est infiniment descendante.
À Celle qui est infiniment grande.
Parce qu'aussi Elle est infiniment petite.
Infiniment humble.
Une jeune mère.
À Celle qui est infiniment jeune.
Parce qu'aussi Elle est infiniment mère...
À Celle qui est infiniment joyeuse.
Parce qu'aussi Elle est infiniment douloureuse...
À Celle qui est infiniment touchante.
Parce qu'aussi Elle est infiniment touchée.
À Celle qui est toute Grandeur et toute Foi.
Parce qu'aussi Elle est toute Charité...
À Celle qui est Marie.
Parce qu'Elle est pleine de grâce.
À Celle qui est pleine de grâce.
Parce qu'Elle est avec nous.
À Celle qui est avec nous.
Parce que le Seigneur est avec Elle ».
Ainsi soit-il.
La mort n'est rien
La mort n’est rien
je suis seulement passé, dans la pièce à côté.
Je suis moi. Vous êtes vous.
Ce que j'étais pour vous, je le suis toujours.
Donnez-moi le nom que vous m'avez toujours donné,
parlez-moi comme vous l'avez toujours fait.
N'employez pas un ton différent,
ne prenez pas un air solennel ou triste.
Continuez à rire de ce qui nous faisait rire ensemble.
Priez, souriez,
pensez à moi,
priez pour moi.
Que mon nom soit prononcé à la maison
comme il l'a toujours été,
sans emphase d'aucune sorte,
sans une trace d'ombre.
La vie signifie tout ce qu'elle a toujours été.
Le fil n'est pas coupé.
Pourquoi serais-je hors de vos pensées,
simlement parce que je suis hors de votre vue ?
Je ne suis pas loin, juste de l'autre côté du chemin.
Eve
…..
O femme qui fermez les regards bleus et noirs
Et les regards profonds des yeux les plus aimés,
Épouse qui fermez pour le dernier des soirs
Le reconnaissement des yeux accoutumés.
O femme qui fermez les regards des mourants
Sur le dernier aspect qu’ils auront eu du monde,
Et qui les refermez sur cette nuit profonde,
O femme qui cueillez des souffles expirants,
Vous rangez le Seigneur au fond du sanctuaire,
Vous rangez le calice : après qu’il est empli.
Vous rangez le cantique avec l’obituaire.
Et vous rangez le sort : quand il est accompli.
Et vous rangez le mort : après qu’il est bien mort.
Et vous rangez les temps : quand ils sont révolus.
Et vous rangez les jours : quand ils sont absolus.
Vous rangez le vaisseau : quand il est dans le port.
Vous rangez les enfants : quand ils sont résolus.
Vous rangez le sépulcre et la foi de par Dieu.
Vous rangez les trois croix sur le dernier haut lieu.
Et vous rangez le coeur : après qu’il ne bat plus.
…..
Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres
Étoile de la mer voici la lourde nappe
Et la profonde houle et l’océan des blés
Et la mouvante écume et nos greniers comblés,
Voici votre regard sur cette immense chape
Et voici votre voix sur cette lourde plaine
Et nos amis absents et nos cœurs dépeuplés,
Voici le long de nous nos poings désassemblés
Et notre lassitude et notre force pleine.
Étoile du matin, inaccessible reine,
Voici que nous marchons vers votre illustre cour,
Et voici le plateau de notre pauvre amour,
Et voici l’océan de notre immense peine.
Un sanglot rôde et court par delà l’horizon.
A peine quelques toits font comme un archipel.
Du vieux clocher retombe une sorte d’appel.
L’épaisse église semble une basse maison.
Ainsi nous naviguons vers votre cathédrale.
De loin en loin surnage un chapelet de meules,
Rondes comme des tours, opulentes et seules
Comme un rang de châteaux sur la barque amirale.
Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre
Un réservoir sans fin pour les âges nouveaux.
Mille ans de votre grâce ont fait de ces travaux
Un reposoir sans fin pour l’âme solitaire.
Vous nous voyez marcher sur cette route droite,
Tout poudreux, tout crottés, la pluie entre les dents.
Sur ce large éventail ouvert à tous les vents
La route nationale est notre porte étroite.
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Nous sommes nés pour vous au bord de ce plateau,
Dans le recourbement de notre blonde Loire,
Et ce fleuve de sable et ce fleuve de gloire
N’est là que pour baiser votre auguste manteau.
Nous sommes nés au bord de ce vaste plateau,
Dans l’antique Orléans sévère et sérieuse,
Et la Loire coulante et souvent limoneuse
N’est là que pour laver les pieds de ce coteau.
Nous sommes nés au bord de votre plate Beauce
Et nous avons connu dès nos plus jeunes ans
Le portail de la ferme et les durs paysans
Et l’enclos dans le bourg et la bêche et la fosse.
Nous sommes nés au bord de votre Beauce plate
Et nous avons connu dès nos premiers regrets
Ce que peut receler de désespoirs secrets
Un soleil qui descend dans un ciel écarlate
Et qui se couche au ras d’un sol inévitable
Dur comme une justice, égal comme une barre,
Juste comme une loi, fermé comme une mare,
Ouvert comme un beau socle et plan comme une table,
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C’est la gerbe et le blé qui ne périra point,
Qui ne fanera point au soleil de septembre,
Qui ne gèlera point aux rigueurs de décembre,
C’est votre serviteur et c’est votre témoin.
C’est la tige et le blé qui ne pourrira pas,
Qui ne flétrira point aux ardeurs de l’été.
Qui ne moisira point dans un hiver gâté,
Qui ne transira point dans le commun trépas.
C’est la pierre sans tache et la pierre sans faute,
La plus haute oraison qu’on ait jamais portée,
La plus droite raison qu’on ait jamais jetée,
Et vers un ciel sans bord la ligne la plus haute.
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