BEROALDE DE VERVILLE, François


De feu, d’horreur, de mort, de peine, de ruine


De feu, d'horreur, de mort, de peine, de ruine,

Jours, nuits, ans, temps, moments, je me sens tourmenté,

Et sous les fers meurtriers de ma captivité,

Je vois l'amour cruel qui mon âme ruine.


Je me perds de langueur, de douleurs je me mine,

Ma vie fuit de moi par trop de cruauté,

Et de mortels dédains mon esprit agité

Sent le dernier effort qui ma vie termine.


Vous filles de la nuit, vous Fureurs éternelles,

Vous qui froissez là-bas, dessous vos mains cruelles,

Les esprits échappés du monde et de leurs corps,


Chassez par vos rigueurs la rigueur de ma gêne,

Et si la peine peut se chasser par la peine,

Faites fuir de moi par ma mort mille morts.



Je veux seul, écarté, ores dans un bocage


Je veux seul, écarté, ores dans un bocage,

Ores par les rochers, soupirer mon dommage,

Et plaindre sous l'horreur du destin irrité,

Je veux auprès des eaux tristement murmurantes,

Et près l'obscurité des grottes effrayantes,

Soulager mon esprit de soucis tourmenté.


Vous, bois qui entendez le réson de ma plainte,

Vous, rochers qui m'oyez quand mon âme contrainte

Sous trop de cruauté se plaint de son malheur,

Et vous eaux qui traînez en vos fuites tardives

Les regrets que j'épands dessus vos molles rives,

Soyez justes témoins de ma triste langueur !


Vous, antres reculés où les ombres dernières

De ceux à qui la mort a fermé les paupières

Errent tant que leurs corps soient mis dans le tombeau,

Recevez mes soupirs, et d'une longue haleine

Redoublez plusieurs fois la voix dont en ma peine

Je demande en vos creux un remède nouveau.


Car un injuste sort, me privant de ma vie,

M'absente des beaux yeux dont mon âme ravie

Adorant les rayons fait vivoter mon coeur,

Et veut que sans espoir de revoir ma maîtresse,

J'oublie de ce trait qui tant heureux me blesse,

Pour mourir en l'aimant, l'agréable douceur...


Adieu tout mon bonheur, adieu tout ce que j'aime,

Adieu mon sang, mon coeur, adieu mon âme même,

Je vais pleurer tout seul sous mon astre malin.

Mais pour mieux soupirer, je veux en votre absence

Prier les Déités que changeant mon essence

Je plaigne à mon plaisir mon contraire destin.


Vous donc dieux d'ici-bas, vous saintetés féées,

Qui des amants avez les essences changées,

Si vous errez encor aux déserts ou aux bois

Muez-moi, je vous prie, en un soupir si tendre

Que le coeur des passants mon accent fasse fendre,

Me faisant pour me plaindre une éternelle voix.


Mon sang est tout gelé, je n'ai plus dans le coeur


Mon sang est tout gelé, je n'ai plus dans le coeur

De pouvoir pour encor entretenir ma vie,

Mes nerfs sont retirés et je sens amortie

La vertu qui tenait mes esprits en chaleur.


Mes os n'ont plus en eux cette agréable humeur

Qui les entretenait, et ma force est faillie,

De mon cerveau séché goutte à goutte est sortie

La douce humidité qui lui donnait vigueur.


Mes yeux ne servent plus à mon corps de lumière,

Et je n'attends plus rien qu'en mon heure dernière,

La mort de mes poumons ôte le mouvement :


Mais elle n'y peut rien, pour autant qu'en mon âme

Éclairent vos beaux yeux qui me sont, vous aimant,

Sang, coeur, nerfs, vie, esprits, force, humeur, cerveau, flamme.