MISTRAL, Frédéric


Lou cant dou Souleu


Grand soleil de la Provence,

gai compère du mistral,

toi qui taris la Durance

comme un flot de vin de Crau,


Fais briller ta blonde Iampe!

Chasse l'ombre et les fléaux

Vite! vitel vite!

Montre-toi, beau soleil


Ta flamme nous rôtit,

et pourtant, vienne l'été,

Avignon, Arles et Marseille

te reçoivent comme un dieu!

…..


Mireille

Chant X


Souto li fiò que Jun escampo,
Mirèio lampo, e lampo, e lampo !
De soulèu en soulèu e d'auro en auro, vèi
Un plan-païs inmènse : d'erme
Que n'an à l'iue ni fin ni terme ;
De liuen en liuen e pèr tout germe,
De ràri tamarisso... e la mar que parèi...

De saladello, de counsòudo,
D'engano, de fraumo, de sòudo
Amàri pradarié di campèstre marin,
Ounte barrulon li brau negre
E li cavalot blanc : alegre,
Podon aqui libramen segre
Lou ventihoun de mar tout fres de pouverin.

La bluio capo souleianto
S'espandissié, founso, brihanto,
Courounant la palun de soun vaste countour ;
Dins la liunchour qu'alin clarejo
De-fes un gabian voulastrejo ;
De-fes un aucelas oumbrejo,
Ermito cambaru dis estang d'alentour.

Es un cambet qu'a li pèd rouge,
O 'n galejoun qu'espincho, aurouge,
E drèisso fieramen soun noble capelut,
Fa de tres lòngui plumo blanco...
La caud deja pamens assanco :
Pèr s'alóugeri de sis anco
La chatouno desfai li bout de soun fichu.

E la calour, sèmpre mai vivo,
Sèmpre que mai se recalivo ;
E dóu soulèu que mounto à l'afrèst dóu cèu-sin,
Dóu souleias li rai e l'uscle
Plovon à jabo coume un ruscle :
Sèmblo un lioun que, dins soun ruscle,
Devouris dóu regard li desert abissin !

Souto un fau, que farié bon jaire !
Lou blound dardai beluguejaire
Fai parèisse d'eissame, e d'eissame feroun,
D'eissame de guèspo, que volon,
Mounton, davalon, e tremolon
Coume de lamo que s'amolon,
La roumiéuvo d'amour que lou lassige roump

E que la caumo desaleno,
De soun èso redouno e pleno
A leva l'espingolo ; e soun sen, bouleguiéu
Coume dos oundo bessouneto
Dins une lindo fountaneto,
Sèmblo d'aquéli campaneto
Qu'en ribo de la mar blanquejon dins l'estiéu.

Mai, pau-à-pau davans sa visto
Lou terradou se desentristo ;
E veici pau-à-pau qu'aperalin se mòu
E trelusis un grand clar d'aigo :
Li daladèr, li bourtoulaigo,
Autour de l'erme que s'enaigo
Grandisson, e se fan un capèu d'oumbro mòu.

Ero uno visto celestino,
Un fres pantai de Palestino !
De-long de l'aigo bluio une vilo lèu-lèu
Alin s'aubouro, emé si lisso,
Soun bàrri fort que l'empalisso,
Si font, si glèiso, si téulisso,
Si clouchié loungaru que crèisson au soulèu.

De bastimen e de pinello,
Emé si velo blanquinello
Intravon dins la darso ; e lou vènt, qu'èro dous,
Fasié jouga sus li poumeto
Li bandeiroun e li flameto.
Mirèio, emé sa man primeto
Eissuguè de soun front li degout aboundous ;

E de vèire tal espetacle,
Cujè, moun Diéu ! crida miracle !
E de courre, e de courre, en cresènt qu'èro aqui
La toumbo santo di Marìo.
Mai au mai cour, au-mai varìo
La ressemblanço que l'esbriho,
Au-mai lou clar tablèu de liuen se fai segui.

Obro vano, sutilo, alado,
Lou Fantasti l'avié fielado
Em' un rai de soulèu, tencho emé li coulour
Di nivoulun : sa tramo feblo
Finis pèr tremoula, vèn treblo,
E s'esvalis coume uno nèblo,
Mirèio rèsto soulo e nèco, à la calour.

E zóu li camello de sablo,
Brulanto, mouvènto, ahissablo !
E zóu la grand sansouiro, e sa crousto de sau
Que lou soulèu boufigo e lustro,
E que cracino, e qu'escalustro !
E zóu li plantasso palustro,
Li canèu, li triangle, estage di mouissau !

Emé Vincèn dins la pensado,
Pamens, dempièi lòngui passado,
Ribejavo toujour l'esmarra Vacarés ;
Deja, deja di gràndi Santo
Vesié la glèiso roussejanto,
Dins la mar liuencho e flouquejanto
Crèisse, coume un veissèu que poujo au ribeirés.

De l'implacablo souleiado
Tout-en-un-cop l'escandihado
Ié tanco dins lou front si dardaioun : ve-la,
O pecaireto ! que s'arreno,
E que, long de la mar sereno,
Toumbo, ensucado, sus l'areno...
O Crau, as toumba flour ! o jouvènt, plouras-la !...


Sous les feux que juin verse,
Comme l’éclair, Mireille court, et court, et court !
De soleil en soleil et de vent en vent, elle voit
Une plaine immense : des savanes
Qui n’ont à l'œil ni fin ni terme ;
De loin en loin, et pour toute végétation,
De rares tamaris ... et la mer qui paraît...

Des tamaris, des prêles,
Des salicornes, des arroches, des soudes,
Amères prairies des plages marines,
Où errent les taureaux noirs
Et les chevaux blancs : joyeux,
Ils peuvent là librement suivre
La brise de mer tout imprégnée d’embrun.

La voûte bleue où plane le soleil
S’épanouissait, profonde, brillante,
Couronnant les marais de son vaste contour ;
Dans le lointain clair
Parfois un goéland vole ;
Parfois un grand oiseau projette son ombre,
Ermite aux longues jambes des étangs d’alentour.

C’est un chevalier aux pieds rouges ;
Ou un bihoreau qui regarde, farouche ,
Et dresse fièrement sa noble aigrette,
Faite de trois longues plumes blanches...
Déjà cependant la chaleur énerve :
Pour s’alléger, de ses hanches
La jeune fille dégage les bouts de son fichu.

Et la chaleur, de plus en plus vive,
De plus en plus devient ardente;
Et du soleil qui monte au zénith du ciel pur,
Du grand soleil les rayons et le hâle
Pleuvent à verse comme une giboulée :
Tel un lion, dans la faim qui le tourmente,
Dévore du regard les déserts abyssins!

Sous un hêtre, qu’il ferait bon s’étendre!
Le blond rayonnement du soleil qui scintille
Simule des essaims, des essaims furieux,
Essaims de guêpes, qui volent,
Montent, descendent et tremblotent
Comme des lames qui s’aiguisent.
La pèlerine d’amour que la lassitude brise

Et que la chaleur essouffle,
De sa casaque ronde et pleine
A ôté l’épingle; et son sein agité
Comme deux ondes jumelles
Dans une limpide fontaine,
Ressemble à ces campanules
Qui, au rivage de la mer, étalent en été leur blancheur.

Mais peu à peu devant sa vue
Le pays perd sa tristesse ;
Et voici peu à peu qu’au loin se meut
Et resplendit un grand lac d’eau :
Les phillyreas, les pourpiers,
Autour de la lande qui se liquéfie,
Grandissent, et se font un mol chapeau d’ombre.

C’était une vue céleste,
Un rêve frais de Terre-Promise !
Le long de l’eau bleue, une ville bientôt
Au loin s’élève, avec ses boulevards,
Sa muraille forte qui la ceint,
Ses fontaines, ses églises, ses toitures,
Ses clochers allongés qui croissent au soleil.

Des bâtiments et des pinelles ,
Avec leurs voiles blanches,
Entraient dans la darse ; et le vent, qui était doux,
Faisait jouer sur les pommettes
Les banderoles et les flammes.
Mireille, avec sa main légère,
Essuya de son front les gouttes abondantes ;

Et à pareille vue
Elle pensa, mon Dieu ! crier miracle !
Et de courir, et de courir, croyant que là était
La tombe sainte des Maries.
Mais plus elle court, plus change
L’illusion qui l’éblouit,
Et plus le clair tableau s’éloigne et se fait suivre.

Œuvre vaine, subtile, ailée,
Le Fantastique l’avait filée
Avec un rayon de soleil, teinte avec les couleurs
Des nuages : sa trame faible
Finit par trembler, devient trouble,
Et se dissipe comme un brouillard.
Mireille reste seule et ébahie, à la chaleur...

Et en avant dans les monceaux de sable,
Brûlants, mouvants, odieux !
Et en avant dans la grande sansouire , à la croûte de sel
Que le soleil boursoufle et lustre,
Et qui craque, et éblouit !
Et en avant dans les hautes herbes paludéennes,
Les roseaux , les souchets, asile des cousins !

Avec Vincent dans la pensée,
Cependant, depuis longtemps
Elle côtoyait toujours la plage reculée du Vaccarès ;
Déjà, déjà des grandes Saintes
Elle voyait l’église blonde ,
Dans la mer lointaine et clapoteuse,
Croître, comme un vaisseau qui cingle vers le rivage.

De l’implacable soleil
Tout à coup la brûlante échappée
Lui lance dans le front ses aiguillons : la voilà,
Infortunée! qui s’affaisse,
Et qui, le long de la mer sereine,
Tombe, frappée à mort, sur le sable.
Ô Crau , ta fleur est tombée!... ô jeunes hommes, pleurez-la !...


Calendal

Iéu, d'uno chato enamourado
Aro qu'ai di la mau-parado,

Cantarai, se Dièu vou, un enfant de Cassis,
Un simple pescaire d'anchoio

Qu'emé soun gàubi e'mé sa voio

Dou pur amour gagnè li joio,

L'empèri, lou trelus.

…..




D’une amoureuse jeune fille

maintenant que j’ai dit l’infortune,

je chanterai , si Dieu veut , un enfant de Cassis ,
un simple pêcheur d' anchois
qui, par la grâce et par la volonté
du pur amour , conquit les joies ,
l' empire, la splendeur .
…..



La Coupo Santo


Provençaux, voici la coupe

Qui nous vient des Catalans.

Tour à tour buvons ensemble

Le vin pur de notre cru.


Coupe sainte

Et débordante

Verse à pleins bords,

Verse à flots

Les enthousiasmes

Et !'énergie des forts !


D'un ancien peuple fier et libre

Nous sommes peut-être la fin ;

Et, si tombent les félibres,

Tombera notre nation


D'une race qui regerme

Peut-être somme nous les premiers jets ;

De la patrie, peut-être, nous sommes

Les piliers et les chefs.


Verse nous les espérances

et les rêves de la jeunesse,

Le souvenir du passé

Et la foi dans l'an qui vient.


Verse nous la connaissance

Du Vrai comme du Beau,

Et les hautes jouissances

Qui se rient de la tombe.


Verse nous la Poésie

Pour chanter tout ce qui vit,

Car c'est elle l'ambroisie

Qui transforme l'homme en Dieu.


Pour la gloire du pays

Vous enfin nos complices

catalans, de loin, ô frères,

Tous ensemble, communion



Magali


O Magali, ma tant aimée,

Mets la tête à la fenêtre !

Ecoute un peu cette aubade

De tambourins et de violons.


Le ciel est là-haut plein d'étoiles,

Le vent est tombé ;

Mais les étoiles pâliront

En te voyant.


Pas plus que du murmure des branches,

De ton aubade je fais cas !

Mais je m'en vais dans la mer blonde

Me faire anguille de rocher.


O Magali, si tu te fais

Le poisson de l'onde,

Moi, le pêcheur je me ferai,

Je te pêcherai !


Oh ! mais, si tu te fais pêcheur,

Quand tu jetteras tes verveux,

Je me ferai l'oiseau qui vole,

Je m'envolerai dans les landes.


O Magali, si tu te fais

L'oiseau de l'air,

Je me ferai, moi, le chasseur,

Je te chasserai.


Aux perdreaux, aux becs-fins,

Si tu viens tendre tes lacets,

Je me ferai, moi, l'herbe fleurie,

Et me cacherai dans les prés vastes.


O Magali, si tu te fais

La marguerite,

Je me ferai, moi, l'eau limpide,

Je t'arroserai.


Si tu te fais l'onde limpide,

Je me ferai, moi, le grand nuage,

Et promptement m'en irai ainsi

En Amérique, là-bas bien loin !


O Magali, si tu t'en vas

Aux lointaines Indes,

Je me ferai, moi, le vent de mer,

Je te porterai !


Si tu te fais le vent marin,

Je fuirai d'un autre côté :

Je me ferai l'échappée ardente

Du grand soleil qui fond la glace !


O Magali, si tu te fais

Le rayonnement du soleil,

Je me ferai, moi, le vert lézard,

Et te boirai.


Si tu te rends la salamandre

Qui se cache dans le hallier,

Je me rendrai, moi, la pleine lune

Qui éclaire les sorciers dans la nuit !


O Magali, si tu te fais

Lune sereine,

Je me ferai, moi, belle brume,

Je t'envelopperai.


Mais si la brume m'enveloppe,

Pour cela tu ne me tiendras pas;

Moi, belle rose virginale,

Je m’épanouirai dans le buisson !


O Magali, si tu te fais

La rose belle,

Je me ferai, moi, le papillon,

Je te baiserai.


Va, poursuivant, cours, cours !

Jamais, jamais, tu ne m'atteindras.

Moi de l'écorce d'un grand chêne

Je me vêtirai dans la forêt sombre.


O Magali, si tu te fais

L'arbre des mornes,

Je me ferai, moi, la touffe de lierre,

Je t'embrasserai !


Si tu veux me prendre à bras-le-corps,

Tu ne saisiras qu'un vieux chêne ...

Je me ferai blanche nonnette

Du monastère du grand Saint Blaise !


O Magali, si tu te fais

Nonnette blanche,

Moi, prêtre, je confesserai,

Et t'entendrai !


Si du couvent tu passes les portes,

Tu trouveras toutes les nonnes

Autour de moi errantes,

Car en suaire tu me verras !


O Magali, si tu te fais

La pauvre morte,

Je me ferai donc la terre,

Là je t'aurai !


Maintenant je commence enfin à croire

Que tu ne me parles pas en riant.

Voici mon annelet de verre

Pour souvenir, beau jouvenceau !


O Magali, tu me fais du bien ! ...

Mais, dès qu'elles t'ont vue,

O Magali, vois les étoiles,

Comme elles ont pâli !"