DIERX, Léon


L'AMOUR EN FRAUDE

J'ai vu passer, l'autre matin,

Un jeune Dieu dans la prairie ;

Sous un costume de féerie

Il sautillait comme un lutin.

Tout perlé d'or et d'émeraude,

Sans arc, sans flèche et sans carquois,

En chantonnant des vers narquois,

Il s'en allait comme en maraude.

Il redonnait, à chaque bond,

L'onde aux ruisseaux, des fleurs aux rives,

Des alouettes et des grives

Au saule creux et moribond.

Le fol Archer buveur de larmes,

Pour une fois pris en défaut,

À travers champs riait tout haut

De n'être plus qu'un fou sans armes !

Et singeant l'air d'un franc routier,

Fier de trahir son roi morose,

Il arborait un drapeau rose

Pour délivrer le monde entier !



Le vieux solitaire

Je suis tel qu'un ponton sans vergues et sans mâts,

Aventureux débris des trombes tropicales,

Et qui flotte, roulant des lingots dans ses cales,

Sur une mer sans borne et sous de froids climats.


Les vents sifflaient jadis dans ses mille poulies.

Vaisseau désemparé qui ne gouverne plus,

Il roule, vain jouet du flux et du reflux,

L'ancien explorateur des vertes Australies !


Il ne lui reste plus un seul des matelots

Qui chantaient sur la hune en dépliant la toile.

Aucun phare n'allume au loin sa rouge étoile ;

Il tangue, abandonné tout seul sur les grands flots.


La mer autour de lui se soulève et le roule,

Et chaque lame arrache une poutre à ses flancs ;

Et les monstres marins suivent de leurs yeux blancs

Les mirages confus du cuivre sous la houle.


Il flotte, épave inerte, au gré des flots houleux,

Dédaigné des croiseurs aux bonnettes tendues,

La coque lourde encor de richesses perdues,

De trésors dérobés aux pays fabuleux.


Tel je suis. Vers quels ports, quels récifs, quels abîmes,

Dois-tu les charrier, les secrets de mon cœur ?

Qu’importe ? Viens à moi, Caron, vieux remorqueur.

Ecumeur taciturne aux avirons sublimes !