MENDES, Catulle


Oubli

Allez, vieilles amours, chimères,

Caresses qui m’avez meurtri,

Tourments heureux, douceurs amères,

Abandonnez ce cœur flétri !

Sous l’azur sombre, à tire-d’ailes,

Dans l’espoir d’un gîte meilleur,

Fuyez, plaintives hirondelles,

Le nid désormais sans chaleur !

Tout s’éteint, grâce aux jours moroses,

Dans un tiède et terne unisson.

Où sont les épines des roses ?

Où sont les roses du buisson ?

Après l’angoisse et la folie,

Comme la nuit après le soir,

L’oubli m’est venu. Car j’oublie !

Et c’est mon dernier désespoir.

Et mon âme aux vagues pensées

N’a pas même su retenir

De toutes ses douleurs passées

La douleur de s’en souvenir.


Le rossignol


C'était un soir du mois où les grappes sont mûres,

Et celle que je pleure était encore là.

Muette, elle écoutait ton chant sous les ramures,

Élégiaque oiseau des nuits, Philoméla !

Attentive, les yeux ravis, la bouche ouverte,

Comme sont les enfants au théâtre Guignol,

Elle écoutait le chant sous la frondaison verte,

Et moi je me sentis jaloux du rossignol.

" Belle âme en fleur, lilas où s'abrite mon rêve,

Disais-je, laisse là cet oiseau qui me nuit.

Ah ! méchant coeur, l'amour est long, la nuit est brève ! "

Mais elle n'écoutait qu'une voix dans la nuit.

Alors je crus subir une métamorphose !

Et ce fut un frisson dont je faillis mourir.

Dans un être nouveau ma vie était enclose,

Mais j'avais conservé mon âme pour souffrir.

Un autre était auprès de la seule qui m'aime,

Et tandis qu'ils allaient dans l'ombre en soupirant,

Ô désespoir, j'étais le rossignol lui-même

Qui sanglotait d'amour dans le bois odorant.

Puis elle s'éloigna lentement, forme blanche

Au bras de mon rival assoupie à moitié ;

Et rien qu'à me voir seul et triste sur ma branche,

Les étoiles du ciel s'émurent de pitié.

Ce fut tout ; seulement, dès l'aurore prochaine

(Je n'ai rien oublié : c'était un vendredi)

Des enfants qui passaient virent au pied du chêne

Un cadavre d'oiseau déjà sec et roidi.

" Il est mort ! " dirent-ils, et, de son doigt agile,

L'un d'eux creusa ma fosse à l'ombre d'un roseau,

Et tout en refermant mes plumes sous l'argile,

Il priait le bon Dieu pour le petit oiseau.



Soirs moroses

Reste. N'allume pas la lampe. Que nos yeux

S'emplissent pour longtemps de ténèbres, et laisse

Tes bruns cheveux verser la pesante mollesse

De leurs ondes sur nos baisers silencieux.


Nous sommes las autant l'un que l'autre. Les cieux

Pleins de soleil nous ont trompés. Le jour nous blesse.

Voluptueusement berçons notre faiblesse

Dans l'océan du soir morne et délicieux.


Lente extase, houleux sommeil exempt de songe,

Le flux funèbre roule et déroule et prolonge

Tes cheveux où mon front se pâme enseveli...


Ô calme soir, qui hais la vie et lui résistes,

Quel long fleuve de paix léthargique et d'oubli

Coule dans les cheveux profonds des brunes tristes.