KRYSINSKA, Marie
Le hibou
A Maurice Rollinat.
Il agonise, l’oiseau crucifié, l’oiseau crucifié sur la porte.
Ses ailes ouvertes sont clouées, et de ses blessures, de grandes perles de sang tombent lentement comme des larmes.
Il agonise, l’oiseau crucifié!
Un paysan à l’oeil gai l’a pris ce matin, tout effaré de soleil cruel, et l’a cloué sur la porte.
Il agonise, l’oiseau crucifié.
Et maintenant, sur une flûte de bois, il joue, le paysan à l’oeil gai.
Il joue assis sous la porte, sous la grande porte, où, les ailes ouvertes, agonise l’oiseau crucifié.
Le soleil se couche, majestueux et mélancolique, – comme un martyr dans sa pourpre funèbre;
Et la flûte chante le soleil qui se couche, majestueux et mélancolique.
Les grands arbres balancent leurs têtes chevelues, chuchotant d’obscures paroles;
Et la flûte chante les grands arbres qui balancent leurs têtes chevelues.
La terre semble conter ses douleurs au ciel, qui la console avec une bleue et douce lumière, la douce lumière du crépuscule;
Il lui porte d’un pays meilleur, sans ténèbres mortelles et sans soleils cruels, d’un pays bleu et doux comme la bleue et douce lumière du crépuscule;
Et la flûte sanglote d’angoisse vers le ciel, – qui lui parle d’un pays meilleur.
Et l’oiseau crucifié entend ce chant,
Et oubliant sa torture et son agonie,
Agrandissant ses blessures, – ses saignantes blessures, -
Il se penche pour mieux entendre.
* *
Ainsi es-tu crucifié, ô mon cœur!
Et malgré les clous féroces qui te déchirent,
Agrandissant tes blessures, tes saignantes blessures,
Tu t’élances vers l’Idéal,
A la fois ton bourreau et ton consolateur.
Le soleil se couche majestueux et mélancolique.
Sur la grande porte, les ailes ouvertes, agonise l’oiseau crucifié.
Nature morte
À Louis Forain.
Un boudoir cossu :
Les meubles, les tentures et les œuvres d’art, ont la banalité requise.
Et la lampe — soleil à gage — éclaire les deux amants.
Elle est teinte en blonde, car Il n’aime que les blondes.
Lui, a les cheveux de la même nuance que son complet très à la mode
*
Par la fenêtre ouverte on voit un ciel bleu comme une flamme de soufre.
Et la lune, radieuse en ces voiles, flotte vers de fulgurants hymens.
*
Ayant achevé de lire le cours authentique de la Bourse, Il allume un cigare cher — et songe :
« C’est une heure agréable de la journée, celle où l’on SACRIFIE À L’AMOUR. »
Ils se sont rapprochés et causent
DE L’ÉGOÏSME À DEUX, DES ÂMES SŒURS. . .
Lui, bâillant un peu
Elle tâchant à éviter la cendre du cigare.
*
Par la fenêtre ouverte on voit un ciel bleu comme une flamme de soufre,
Et les arbres bercés de nuptiales caresses.
*
Lui, ayant fini son cigare, se penche pour donner un baiser à celle
Qu’au club il appelle « sa maîtresse ».
Il se penche pour lui donner un baiser — tout en rêvant :
« Pourvu que la Banque Ottomane ne baisse pas ! »
Elle, offre ses lèvres pensant à ses fournisseurs
Et leur baiser sonne comme le choc de deux verres vides.
*
Par la fenêtre ouverte on voit un ciel bleu comme une flamme de soufre
Et les oiseaux veilleurs chantent l’immortel Amour
Tandis que de la terre monte une vapeur d’encens
Et des parfums d’Extase.
*
— Si nous fermions — disent-ils — cette fenêtre qui gêne NOTRE EXTASE !